Entretien avec Olivier Garnier, 30 novembre 2023
Quel bilan dressez-vous de l’économie française en 2023 ?
Tout d’abord un enseignement principal qui me semble le plus important : l’économie française est bel et bien engagée dans une trajectoire de désinflation. Et ce mouvement s’opère sans récession. Plus spécifiquement, en 2023 la France devrait afficher une croissance de 0,9%. Au fond, c’est un chiffre plutôt solide quand on liste le nombre et l’ampleur des chocs que nous subissons depuis plusieurs années. Certes, ce chiffre en moyenne annuelle surestime la tendance sous-jacente en raison d’effets d’acquis : en réalité, en tenant compte du repli du PIB au 3ème trimestre (-0,1%) après la nette hausse du 2ème trimestre (+0,6%), le rythme moyen de croissance sur les quatre derniers trimestres est de l’ordre de 0,1% par trimestre. Le facteur majeur pour expliquer cette croissance est la demande extérieure, alors que la consommation n’a pratiquement pas contribué.
Cette tendance devrait-elle se poursuivre en 2024 ?
S’agissant de 2024, nos perspectives de progression du PIB sont pour l’instant du même ordre que 2023, mais les facteurs de croissance devraient changer et se renforcer en cours d’année. Une des surprises de l’année 2023 réside dans la résilience du pouvoir d’achat : le pouvoir d’achat du revenu disponible des ménages a en effet progressé de +0,9% contre +0,2% en 2022. Certes, ce chiffre macro-économique recouvre des situations différenciées d’un ménage à l’autre et les Français n’ont pas tous forcément ressentis au quotidien une amélioration de leur pouvoir d’achat. Mais au plan macro-économique, cette hausse s’explique notamment par celle de l’emploi alors que le salaire moyen par tête a moins augmenté que les prix . Ceci a eu pour première conséquence une augmentation du taux d’épargne en 2023. L’an prochain, l’économie française sera davantage portée par la consommation des ménages qui progresserait de 1,8%, soit cette fois-ci plus vite que le pouvoir d’achat (+0,9%). Le bémol, à l’inverse, se situera au niveau de l’emploi dont la robustesse a constitué une des bonnes surprises de 2022-2023. Après 1,2 million d’emplois créés depuis 2019, nous attendons maintenant un petit repli de l’emploi et une remontée conjoncturelle du taux de chômage avec un pic autour de 7,8% en 2025.
Finalement, depuis le Covid la croissance française résiste plutôt bien…
Sur les dernières années, la résistance affichée par l’économie française est effectivement assez remarquable, alors même que nous subissons des chocs externes d’une grande violence, entre la crise sanitaire et l’envolée des prix des produits importés et de l’électricité. Finalement, le pouvoir d’achat des ménages a tenu bon et les entreprises ont préservé leurs marges. Il n’y a pas eu non plus de spirale prix/salaires comme dans les années 1970, ce qui aurait été très dommageable. Cette résistance s’explique en grande partie par le soutien des finances publiques, entre boucliers tarifaires pour les ménages et autres subventions dont ont bénéficié les entreprises. Mais il y a une contrepartie : ce sont les générations futures qui vont devoir supporter ce choc en raison du surcroit d’endettement public. En outre, l’écart de ratio d’endettement public entre la France et la moyenne de la zone euro s’est creusé, passant de 15 points de PIB avant la crise sanitaire à 20 points de PIB aujourd’hui.
Vous êtes également plutôt optimiste s’agissant de l’inflation.
S’agissant de l’inflation nous sommes à la fois confiants et vigilants, car dans le contexte actuel de fortes tensions géopolitiques, nous ne sommes pas à l’abri de nouveaux chocs, notamment sur les prix de l’énergie. Mais globalement, oui, nous avons clairement passé le pic d’inflation. Ce pic avait son origine dans l’inflation importée, en particulier dans les secteurs de l’énergie et de l’alimentation. Désormais, ces deux composantes sont en repli. La Banque de France mène chaque mois des enquêtes auprès des entreprises. Au premier semestre 2022, près d’un industriel sur deux nous disait qu’il avait augmenté ses prix de vente au cours du mois précédent. Désormais, cette proportion est retombée à 6% et elle est identique à celle des industriels les ayant réduits, ce qui correspond aux niveaux d’avant Covid. Dans certains secteurs, comme l’agroalimentaire, 12% des entreprises indiquent désormais baisser leurs prix : elles sont deux fois plus nombreuses que celles qui les montent.
Néanmoins, pour les banques centrales, la patience doit rester de mise. Par exemple, dans le secteur des services qui réagissent traditionnellement avec retard et plus lentement à ce type de choc, les hausses de prix ne se sont pas encore vraiment infléchies. Nous suivons attentivement ce mouvement et c’est la raison pour laquelle il est encore trop tôt pour définitivement crier victoire contre l’inflation. Il faut avoir conscience que ces retournements de tendance vont mettre du temps à se diffuser à l’ensemble des prix de détail. L’inflation sera probablement en 2024 encore sensiblement au-dessus de l’objectif cible de la Banque Centrale Européenne, à savoir 2% en rythme annuel. Nous devrions revenir sur cette cible en 2025.
Faut-il anticiper une poursuite de la remontée des taux d’intérêt ?
Il faut distinguer les taux courts, qui dépendent directement des taux directeurs des banques centrales, des taux longs qui intègrent diverses anticipations de marché et les primes de risque. S’agissant des taux courts, le mouvement de hausse a été très spectaculaire, ce qui se comprend aisément quand on sait que ce cycle de relèvement des taux des banques centrales a été l’un des plus rapides. En Europe nous sommes passés de -0,5% à 4% en un an seulement. Notre discours, à la BCE et à la Banque de France est très clair : ce qui compte désormais ce n’est plus tant de monter encore le niveau des taux que la durée de leur maintien aux niveaux actuels. Notre politique monétaire est désormais considérée en territoire restrictif et les derniers relèvements de taux ne se sont pas encore totalement transmis à l’économie réelle. Raison pour laquelle nous prévoyons que les taux courts devraient rester sur un plateau pendant une certaine durée.
S’agissant des taux à long terme, ils n’ont pas sur-réagi, signe que les marchés ont toujours anticipé que l’inflation resterait globalement sous contrôle. Nous avons observé une remontée en septembre et en octobre, mais ce mouvement est venu plutôt des Etats-Unis. Malgré ces mouvements, le taux de l’OAT à dix ans, qui est la référence pour les emprunts de l’État français, est resté dans une bande de fluctuation entre 3 et 3,5%, ce qui ne constitue pas un niveau historiquement élevé.
Le relèvement des taux ne risque-t-il pas d’entrainer des défaillances en matière de crédit immobilier ou d’entreprise ?
En matière de crédit immobilier, quand on compare la France à d’autres pays, c’est chez nous que les taux d’intérêt pour les crédits immobiliers ont le moins grimpé. De même, la production de nouveaux crédits immobiliers a certes fortement diminué mais à partir de niveaux qui étaient exceptionnellement élevés lors de la période de taux très bas. Nous sommes aujourd’hui revenus sur un rythme de production de crédits immobiliers plus normal, à savoir celui des années d’avant 2015, début des taux ultra-bas. Et cette remontée du coût du crédit n’a pas entraîné de défaillances chez les ménages. Cela s’explique par la prédominance des crédits immobiliers à taux fixes dans notre pays qui offrent une très grande protection aux ménages. S’agissant des entreprises, même si les taux de défaillances remontent, nous restons sur des niveaux normaux à ce stade du cycle.
Quelles sont vos prévisions en matière de taux d’épargne ?
Avant la crise sanitaire, ce taux était de 15%. Il a grimpé à 21% pendant le confinement et depuis il est peu redescendu puisqu’il s’établit un peu au-dessus de 18% en 2023. Nous prévoyons qu’il serait de 17,4% en 2024 et baisserait encore un peu à 16,8% en 2025, c’est-à-dire que les Français continueraient à épargner davantage qu’avant la covid, en dépit du large surplus qu’ils ont accumulé au cours des dernières années. C’est un paradoxe français, les ménages épargnent beaucoup, mais ils sont aussi plus endettés que la moyenne. L’un et l’autre sont probablement liés par le biais de l’immobilier : les Français se sont endettés davantage pour acquérir des biens immobiliers de plus en plus chers, et ils doivent ensuite épargner davantage pour rembourser leurs emprunts ainsi contractés. À l’échelle de l’économie dans son ensemble, pourtant on ne peut pas dire qu’il y a un excès d’épargne en France, car les entreprises et les administrations publiques ont quant à eux un déficit d’épargne, à la différence d’autres pays. Raison pour laquelle notre balance courante est déficitaire : nos investissements, restés relativement élevés, sont supérieurs à notre épargne nationale, c’est-à-dire qu’on a aussi besoin de capitaux extérieurs pour nous financer.
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