Interview Nathalie Chusseau
- Cercle des Épargnants
- il y a 6 heures
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Professeure à l'Université de Lille, chercheur associée à la Chaire Transitions Démographiques

« Notre système de retraite par répartition est en péril »
Quelles sont les prévisions les plus à jour en terme de démographie pour la France ? En particulier, sur le très long terme, après le papy-boom ne risque-t-on pas de voir la population des plus âgées se réduire, du fait de la baisse des naissances ?
Notre pays est en proie à une double évolution démographique : les plus de 65 ans représentent aujourd’hui en France 21,8% de la population. A l’horizon 2030, la part des personnes âgées de 60 ans ou plus sera de 31,1% contre 20,6% en 2000, et les plus de 65 ans seront pour la première fois plus nombreux que les moins de 15 ans. D'ici 2040, 25% de la population sera âgée de plus de 65 ans, et on anticipe que ce ratio atteindra près d’un tiers en 2070. Ce vieillissement s'explique en grande partie par l'augmentation de l'espérance de vie à la naissance (85,6 ans pour les femmes et 80 ans pour les hommes).
En parallèle, on observe une baisse de la natalité : le nombre de naissance a baissé de 6,6% en 2023 par rapport à l’année 2022, et de 2,2% en 2024, ce qui correspond à une baisse de 21,5% par rapport à l’année 2010, année du dernier pic des naissances. L’indicateur conjoncturel de fécondité qui s’élève à 1,62 enfant par femme (contre 1,66 en 2023) n’a jamais été aussi bas depuis la Seconde Guerre mondiale.
A long-terme, lorsque les générations moins nombreuses atteignent l'âge adulte, le recul des naissances n’est pas une bonne nouvelle car il implique moins de travailleurs et donc moins de consommateurs, ce qui se traduit par une plus faible croissance économique. Les travaux de la Chaire Transitions Démographiques Transitions Économiques ont d’ailleurs montré que la France perdrait 2 points de revenu national à horizon 2050 en retenant l’hypothèse de l’indice de fécondité de 2023.
Quelles sont les conséquences prévisibles, au plan économique, d’un vieillissement de notre population ? En particulier, qu’est-ce que cela impose pour le financement des retraites et de la dépendance ?
Ce vieillissement massif va avoir des conséquences directes sur notre système de protection sociale qui repose sur la solidarité intergénérationnelle. Notre système de retraite par répartition est en péril en raison de la baisse drastique du nombre de cotisants relativement au nombre de retraités que ce vieillissement va engendrer. Sans une croissance économique suffisamment forte pour compenser ce ratio, la conséquence directe sera une baisse des pensions pour assurer l’équilibre financier du système.
De même, l'accélération du vieillissement de la population fera bondir les dépenses de santé liées à la dépendance. Selon l’Insee, les seniors en perte d’autonomie, qui représentent aujourd’hui près de 2,5 millions de personnes, vont augmenter de plus de 60 % par rapport au recensement de 2015 pour atteindre 4 millions de personnes en 2050. La dépense publique en faveur des personnes dépendantes augmenterait très fortement d’ici à 2060 pour atteindre 2,07 points de PIB contre un point de PIB en 2015.
Le vieillissement aura des conséquences directes sur le marché du travail en termes d'emplois dans les services à la personne et de soin aux personnes âgées. On anticipe en effet que les effectifs d’aides professionnelles nécessaires à la prise en charge de la perte d’autonomie à domicile et en Ehpad vont augmenter respectivement de 42 % et de 14 % d’ici à 2040 par rapport à 2020.
L’augmentation de l’espérance de vie va également entraîner une augmentation du nombre de proche-aidants (non professionnels) qui peuvent être retraités ou actifs, avec des conséquences sur leur santé, et sur leur efficacité au travail pour ceux qui sont en activité.
Avons-nous des exemples intéressants de pays qui sont dans la même situation que nous, qui font face aux mêmes enjeux, et sont en train d’y apporter une réponse différente ?
L’Italie récemment, le Japon et la Corée du Sud en proie à des taux de natalité catastrophiques ont fait le choix d’une politique nataliste en augmentant sensiblement les dépenses en faveur des familles. Toutefois, on ne voit aucune inversion de tendance au Japon et en Corée du Sud. Non seulement une politique nataliste nécessite beaucoup de communication et de pédagogie, mais pour être efficace, elle doit s’accompagner d’une promotion de l’emploi des femmes et donc de l’accroissement des modes de garde, et d’une politique d’accès au logement pour les jeunes. L’Allemagne quant à elle a encouragé l’arrivée de travailleurs immigrés en faisant appel aux flux migratoires pour répondre aux besoins du marché du travail et financer les cotisations sociales permettant la soutenabilité de son système de retraite.
Ces pays ont également repoussé de façon continue l’âge de la retraite, et abaissé le montant des pensions via différents mécanismes (l’Italie notamment ajuste à la baisse les pensions lorsque l’espérance de vie augmente). Pour la France, un levier consiste à augmenter le taux d’emploi des jeunes et des seniors qui reste très nettement inférieur à celui des 25-49 ans.
La démographie a un impact important sur les besoins de logement. Et l’épargne est une source importante de financement du logement. Que pourrait-on envisager en termes de mesures pour que l’épargne soutienne ces mutations de logement liées à la démographie ?
La volonté politique actuelle de maintenir le plus longtemps possible les seniors à domicile appelée « virage domiciliaire » implique un coût d’aménagement des logements au vieillissement, et la construction de logements mieux adaptés, au plus près de services de santé et de proximité. Ainsi, on anticipe le développement de nouveaux types d’habitat. De même que le livret A finance le logement social, on pourrait envisager un livret d’épargne permettant de flécher une partie de l’épargne colossale des français (plus de 6100 milliards) vers de l’habitat intergénérationnel ou habitat inclusif.
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