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ANALYSE : L'impact des tarifs douaniers sur les perspectives économiques de la France et la zone euro

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    Cercle des Épargnants
  • il y a 6 jours
  • 5 min de lecture

Sandrine Lunven, membre du conseil scientifique du Cercle des epragnants


« Le plus grand choc commercial de l’histoire », telle est la phrase citée par Paul Krugman, lauréat du prix Nobel d’économie pour expliquer l’ampleur et la rapidité de l’augmentation des droits de douane. La réélection de Donald Trump s’accompagne depuis début 2025 d’une politique protectionniste agressive, considérant les droits de douane comme un outil de négociation envers ses partenaires commerciaux.

Après avoir imposé des tarifs douaniers au Canada, au Mexique et à la Chine, puis 25% sur l’ensemble des importations d’acier, d’aluminium et d’automobiles, le président Trump a annoncé le 2 avril dernier la mise en place de tarifs sur le monde entier, allant de 10% à 49% suivant le déficit commercial bilatéral américain par rapport aux importations. Ces mesures auraient porté les droits de douane moyens sur les importations américaines à environ 22 %, contre 2,5 % observés fin 2024, et 20 % spécifiquement pour l’Union européenne. Cependant, l’administration Trump a annoncé le 9 avril une suspension de 90 jours des droits de douane réciproques, les ramenant temporairement à un taux de 10 % pour la plupart des partenaires commerciaux, à l’exception notable de la Chine. Les importations chinoises restent soumises à des hausses massives, avec un droit de douane moyen de 145 %, comprenant notamment un taux de 247,5 % sur les véhicules électriques, 50 % sur les semi-conducteurs, 82 % sur les batteries lithium-ion et 50 % sur les panneaux solaires, sans suspension générale prévue à ce stade. Pour l’Union européenne, les droits de douane sont temporairement abaissés à 10 %, mais les taxes de 25 % sur l’acier, l’aluminium et l’automobile restent en vigueur malgré la suspension des contre-mesures européennes. Enfin, dans le cadre de l’USMCA, les importations en provenance du Canada et du Mexique continuent d’être exemptées des nouveaux droits de 10 %, sous réserve du respect des règles d'origine, certaines exceptions sectorielles comme l’énergie et les engrais bénéficiant de traitements spécifiques.

En réaction à ces annonces, les marchés boursiers mondiaux ont plongé, le CAC40 de -13% entre le 1er avril et le 9 avril, -12% sur le prix du Brent sur la même période (atteignant 67$ le baril fin avril 2025). Les taux américains ont également fortement augmenté (+40 points de base entre le 4 avril et le 11 avril) et l’euro s’est apprécié fortement (de 1.08 dollar le 1er avril à 1.135 dollar le 11 avril), suggérant une crainte de récession aux Etats-Unis et une remise en question de la signature américaine.

Le Fonds Monétaire International (FMI) a revu à la baisse ses projections 2025 et 2026 pour l’ensemble des grandes économies, d’une croissance mondiale affichée à 3.3% en janvier à 2.8% en avril pour l’année 2025. Le ralentissement serait avant tout ressenti aux Etats-Unis avec un PIB attendu à 1.8%, contre 2.7% initialement. Les projections ont été révisée de -0.6 point pour la Chine et le Canada, de -0.5 point pour le Royaume Uni et le Japon. Concernant la Zone Euro, elle devrait mieux résister avec une baisse attendue de 0.2 point de croissance. On peut toutefois s’interroger sur ce scénario, sans doute trop optimiste, et le risque de révision à la baisse, si les tensions commerciales Etats-Unis/Chine en restaient au niveau actuel. 

Ces tensions commerciales rappellent les politiques protectionnistes du passé, notamment le tarif Smoot-Hawley de 1930. À l'époque, les États-Unis avaient considérablement augmenté les droits de douane sur les importations, provoquant des représailles de la part de nombreux partenaires commerciaux et exacerbant la Grande Dépression.

 

Conséquences sur l'économie européenne

L'augmentation des tarifs douaniers a un effet immédiat sur les exportations européennes, fragilisant plusieurs industries stratégiques, dont l'automobile, le secteur pharmaceutique et la métallurgie. La hausse des coûts de production due aux restrictions commerciales compromet la compétitivité des entreprises européennes sur le marché international. En France, les secteurs manufacturiers, fortement dépendants des échanges transatlantiques, subissent une pression supplémentaire, ce qui pourrait entraîner des réductions d'emplois et une baisse des investissements.

Les effets des barrières tarifaires se manifestent aussi par une détérioration des chaînes d'approvisionnement. La complexité accrue des échanges commerciaux perturbe l'organisation logistique des entreprises et engendre des retards, augmentant ainsi les coûts de production et réduisant la rentabilité des sociétés exposées au commerce international. Pour l’Europe, le maintien, au stade actuel, des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine pourrait entraîner un afflux d’exportations chinoises détournées vers le marché européen, exerçant une pression concurrentielle accrue sur certaines industries locales, notamment dans les secteurs de l’automobile, des équipements industriels et des technologies vertes.

Impact macroéconomique : incertitude et inflation

L'incertitude économique constitue l'un des principaux freins à la croissance. Les entreprises, confrontées à une instabilité des politiques commerciales, hésitent à investir, tandis que les consommateurs adoptent une attitude plus prudente, limitant ainsi leurs dépenses. Cette situation devrait impacter la dynamique économique, estimée entre -0.2% et -0.6% sur le PIB par rapport au scénario initial.

Par ailleurs, les tarifs douaniers contribuent à une inflation plus persistante. En augmentant le coût des intrants industriels et des biens importés, ils exercent une pression à la hausse sur les prix de nombreux produits. Les estimations suggèrent un impact des tarifs douaniers sur l’inflation de l’ordre de +0.5% à +0.8%.  Le FMI a notamment révisé le scénario d’inflation pour les Etats-Unis de 2% à 3% pour 2025. La situation est toutefois plus complexe en Europe, où l'inflation est désormais proche de la cible de la Banque centrale européenne, renforcée par la baisse des prix de l’énergie et la perspective d'une importation de désinflation en provenance de Chine. Dans ce contexte, la BCE adopte une approche prudente et graduelle, cherchant à éviter un assouplissement prématuré tout en surveillant les risques baissiers sur la croissance. À ce stade, le risque principal apparaît plutôt orienté vers une trajectoire de baisse supplémentaire des taux, si la dégradation de la demande mondiale, amplifiée par les tensions commerciales, venait à être plus marquée qu’anticipé.


Réactions et stratégies de l'Union européenne

Face à ces tensions commerciales, l'Union européenne a pris des mesures de rétorsion ciblées pour limiter les dommages tout en exerçant une pression sur les États-Unis. Des taxes sur certains produits américains stratégiques, tels que les technologies ou l’agroalimentaire, pourraient être mises en place en réponse aux mesures protectionnistes de Washington.

Parallèlement, l'Europe explore des alternatives pour diversifier ses partenariats commerciaux et réduire sa dépendance aux États-Unis. Le renforcement des échanges avec l'Asie et l'Amérique latine, ainsi qu’une intégration économique plus poussée au sein du marché unique européen, figurent parmi les options stratégiques visant à atténuer les effets des barrières tarifaires américaines.


Conclusion : un défi économique et politique

L'imposition de tarifs douaniers constitue un facteur de perturbation majeur pour la France et la Zone Euro. En accentuant l'incertitude, en fragilisant les entreprises et en alimentant l’inflation, ces mesures protectionnistes risquent de ralentir la croissance économique et d’accroître la volatilité des marchés. Ces facteurs baissiers devraient être compensés par les plans d’investissements massifs dans la défense et les infrastructures de nature à soutenir l’activité économique. L’Europe doit ainsi naviguer entre riposte stratégique et adaptation structurelle pour maintenir sa stabilité économique dans un environnement international de plus en plus incertain.



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