« Nous sommes dans un ajustement cyclique de l’activité dans la zone euro et en France également »
Sandrine Lunven
Directrice générale de TAC ECONOMICS
Membre du Conseil Scientifique du Cercle des Epargnants
Quel bilan peut-on dresser, à la mi-année, de l’évolution de l’économie mondiale ?
L’activité mondiale s’est avérée plus résistante au 1er semestre 2023 avec un ralentissement modéré de l’activité dans les économies développées et une surperformance des économies émergentes. Le scénario de « soft landing » semble donc se matérialiser malgré un resserrement rapide et forte des politiques monétaires aux Etats-Unis et dans la zone euro sur les 12 mois passés, et les turbulences bancaires du mois de mars. Les craintes d’un scénario de « credit crunch », à savoir une bascule vers des conditions financières nettement plus restrictives à la suite de la faillite de la Silicon Valley Bank sont pour l’instant écartées, mais nous surveillons attentivement leurs évolutions.
L’autre fait marquant de ce début d’année est la persistance d’une inflation élevée, bien au-delà encore des cibles des banques centrales (à 5.5% en glissement annuel dans la zone euro en juin). On observe certes une baisse de l’inflation globale mais principalement liée à la baisse significative des prix de l’énergie, alors que l’inflation sous-jacente (hors énergie et alimentaire) est plutôt stable depuis le début 2023 (autour de 5.5% également) voire avec une tendance haussière observée sur les prix des services.
Dans ce contexte où en sommes-nous désormais ?
Même si techniquement la zone euro est en récession en ce début d’année, notre scénario est celui d’une croissance attendue à 0.6% pour l’année 2023, soit en dessous des prévisions de la BCE (+0.9%). Ce ralentissement de l’activité économique dans la zone Euro est la conséquence de convergence entre pressions inflationnistes fortes qui pèsent sur la consommation des ménages et la hausse des taux des banques centrales. Nous notons un ralentissement de la demande domestique dans toutes les économies principales de la zone euro, que ce soit l’Allemagne, la France ou même l’Espagne. Seule l’Italie semble y échapper. Tout ceci avec une confiance des ménages et des industriels qui reste faible. De même, nous observons un ralentissement modéré de l’activité aux États-Unis. Enfin, si nous avons encore quelques questions sur la reprise de la croissance en Chine, cela ne se matérialise pas encore de manière trop prononcée.
D’un point de vue sectoriel, nous assistons à une dichotomie entre le secteur manufacturier et le secteur des services, puisque l’industrie mondiale est globalement en récession, sous l’effet d’un important destockage. L’effet stock qui était fort pendant la période de rattrapage après-COVID s’est inversé : désormais, nous faisons face à une réduction assez importante des stocks.
« Nous sommes définitivement sortis des trente ans passés de baisse tendancielle des taux »
Donc un scénario qui n’est pas noir…
Non ! Nous sommes dans un ajustement cyclique de l’activité économique dans la zone euro et également en France. Le point le plus étonnant est qu’avec des perspectives de croissance comprises entre 0,5% et 1% nous avons un marché de l’emploi toujours très résilient, ce qui est une caractéristique assez particulière qui permet aussi au secteur des services de résister mieux que prévu. Il est quand même assez incroyable d’avoir dans la zone euro un taux de chômage de 6,5%, un plus bas historique. Ce point est fondamental et à surveiller car le risque de bascule vers une spirale prix/salaires comme on l’observe actuellement au Royaume-Uni est à considérer. Si on se projette sur la deuxième partie de 2023, nous allons passer d’un contexte de perte de pouvoir d’achat début 2023, avec des pressions inflationnistes qui pesaient sur la consommation à une fin d’année marquée par de moindres pressions inflationnistes, même si on s’attend quand même à une persistance de l’inflation autour de 3%-3,5% courant 2024. La croissance des salaires, attendue à 5%, devrait peu à peu compenser ces tensions inflationnistes, permettant un rebond de l’économie de la zone euro, qui restera toutefois limité compte tenu d’un environnement international plutôt contraint.
A quoi s’attendre du côté des banques centrales et des marchés ?
Le cycle de resserrement de la politique monétaire observé depuis un an est à la fois fort et rapide. Le taux de dépôt de la BCE est passé de 0% en juillet 2022 à 3.5% en juin 2023. Un durcissement de 350 points de base des taux est très spectaculaire.
La gestion de la politique monétaire est rendue plus complexe en 2023 dans un contexte de pressions inflationnistes qui restent fortes dans la zone euro et en même temps des vulnérabilité du système financier suite aux défaillances bancaires. Cela signifie un environnement de marché beaucoup plus volatile et qui va le rester, particulièrement sur les taux obligataires avec une OAT qui oscille entre 2.4% et 3.2% depuis le début de l’année.
A l’heure actuelle, les banques centrales maintiennent des discours hawkish essayant d’ancrer les anticipations de prix à moyen terme. Cependant, nous nous attendons à une déconnexion au second semestre 2023 entre la Fed qui devrait arrêter de remonter les taux, et une BCE qui devrait poursuivre encore son cycle de hausse pour lutter contre l’inflation et stabiliser ses taux à fin 2023 vers 4%. Cela devrait donc se traduire par une remontée des taux longs européens à court terme. A plus long terme, nous sommes définitivement sortis des trente ans passés de baisse tendancielle des taux.