François Ecalle est Président de Fipeco, Conseiller maître honoraire à la Cour des comptes, ancien rapporteur général du rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques, ancien membre du Haut Conseil des finances publiques.
La dette de la France s’approche es 3000 milliards d’euros. Faut-il s’en inquiéter ?
Au-delà des chiffres bruts, ce qui caractérise la dette française c’est que nous n’arrivons toujours pas à la stabiliser en montant. Or personne ne peut prédire à partir de quel niveau d’endettement nous basculerons dans une crise aigüe de la dette, à quel niveau cette dette deviendra insoutenable. Pour le moment, un facteur externe fausse l’analyse en jouant le rôle de matelas de sécurité : la Banque de France qui rachète de la dette française pour le compte de la BCE et la fait rouler, c’est-à-dire en rachète continuellement quand ses anciens titres détenus sont arrivés à échéance. Mais nous arriverons tôt ou tard au moment où la BCE décidera de réduire son stock. Il ne faut donc plus compter sur son aide indéfiniment. Dès lors l’Etat Français doit être capable de montrer aux marchés qu’il maîtrise sa dette, donc il lui faut la stabiliser pour de bon, ce qui n’est absolument pas le cas actuellement : le projet de loi de programmation des finances publiques – qui n’a pas été voté ! – prévoit tout juste une stabilisation de la dette en 2027 au prix d’économies considérables dont on ne sait toujours pas comment elles seront documentées.
La dette est pourtant parfois un mal nécessaire…
Oui, parfois. Nous sortons de trois années de « quoi qu’il en coûte » qui était absolument nécessaire pour sauver l’économie dans un contexte d’arrêt total lié au Covid. Il fallait laisser les déficits s’aggraver en 2020 mais à condition qu’il s’agisse de mesures temporaires et ciblées.
François Ecalle (Fipeco)
Au lieu de cela, les français en ont retiré l’idée que tout était possible en matière de déficit et de dette publique, et que la France n’avait aucun problème pour emprunter. Il nous faut aujourd’hui lutter contre cette fausse impression et en finir avec ce « whatever it takes » laissant penser que les banquiers centraux sauveront toujours le monde.
Réduire la dette signifie baisser la dépense publique. Où peut-on trouver des économies?
La principale source d’économie en France vient des dépenses Retraites qui sont les plus élevées des pays de l’OCDE, au même niveau que celles de l’Italie, laquelle a pourtant relevé l’âge minimal de départ à 67 ans au cours de la crise des dettes publiques européennes de 2011-2012. Pour le reste il est difficile de dire précisément où couper car la France affiche les dépenses les plus élevées dans tous les secteurs, sauf en matière de police et de justice, où nous sommes tout juste dans la moyenne. Pour tout le reste (armée, logement, santé, etc…) nous sommes les plus dépensiers de l’OCDE ce qui rend très difficile de déterminer où couper, sauf à couper un peu partout !
Se pose aussi la question de savoir comment couper dans ces dépenses. Fipeco vient justement de publier un rapport sur « la Revue des dépenses publiques »…
Depuis la IVème République, les gouvernements ont tout essayé, de la commission « de la hache » (ou de « la guillotine ») à la MAP (« modernisation de l’administration publique ») en passant par la RGPP (« Revue Générale des Politiques Publiques »).
Une hausse de 100 points de base (1%) des taux d’intérêt débouche sur un alourdissement de la charge de la dette de 31 à 32 milliards d’euros au bout de dix ans.
Mais le problème c’est qu’ils ont principalement tenu un discours disant qu’ils cherchaient à améliorer l’action publique – ce qui est plus positif au plan politique – sans assumer le fait que cela signifiait quand même baisser la dépense. En outre, la révision des dépenses publiques ne peut pas permettre de réaliser des économies budgétaires si cet objectif n’est pas assumé au plus haut niveau politique, le Président de la République en France. Toute économie sur les dépenses publiques fait des perdants dont il faut surmonter l’opposition. Or les révisions des dépenses en France, hormis la RGPP, ont toujours relégué cet objectif derrière des ambitions plus consensuelles, et certes légitimes, comme l’amélioration des services rendus aux usagers et des conditions de travail des agents.
La dette française est-elle sous la menace d’une remontée des taux d’intérêt ?
Le projet de loi de finances 2023 estime qu’une hausse de 100 points de base (1%) des taux d’intérêt débouche sur un alourdissement de la charge de la dette (intérêts payés) de 31 à 32 milliards d’euros au bout de dix ans. Or les taux d’intérêt sont remontés bien plus que 100 points de base au cours des derniers mois. C’est un problème central : nous pourrions un jour nous retrouver dans un scénario semblable à celui du Royaume-Uni dont le précédent gouvernement a été contraint de démissionner car sa politique économique conduisait à un rythme de dette non soutenable. La Banque d’Angleterre est intervenue au secours mais a exigé des changements politiques.
Notre dernier baromètre montre un intérêt marqué des Français pour le financement des retraites à partir de la capitalisation. Qu’en pensez-vous ?
La capitalisation est une bonne piste mais on ne peut pas tout basculer dessus car on sacrifierait une génération. On peut certainement introduire davantage de capitalisation mais le financement des pensions reposera toujours sur le travail des actifs. La capitalisation ne résout donc pas le problème du vieillissement de la population sauf à placer les fonds dans des pays plus jeunes alors que l’intérêt pour l’économie est de les placer dans des sociétés françaises. Ce serait de très importants concurrents aux contrats d’assurance-vie, lesquels offrent comme avantage de leur côté de régler en partie les questions successorales.