Interview de Nadine Glicenstein, fondatrice d’Ermine Consulting, conseil en communication ESG des gérants d’actifs et administratrice du Cercle des Epargnants
Les épargnants seront amenés à répondre, à partir de 2023, à un questionnaire sur leur préférence ESG. De quoi s’agit-il ?
C’est une des conséquences de la réglementation européenne Mifid. Pour mieux protéger les épargnants, et cerner leurs véritables connaissances en matière de risques de marché, on leur fait remplir aujourd’hui un questionnaire dédié. Schématiquement, il s’agit de s’assurer que ceux qui veulent se positionner sur les fonds les plus risqués sont bien au courant de ce qu’ils encourent si les marchés leur sont défavorables. Désormais, à ces questions vont s’en ajouter d’autres pour mesurer les préférences des épargnants dans le domaine que l’on appelle extra-financier, ou aussi l’épargne durable. Il s’agit de mieux connaître leur niveau d’exigence en matière d’emploi de leur épargne pour soutenir des objectifs de préservation de l’environnement, de progrès sociaux et de garantie en matière de gouvernance des émetteurs. Ce sont les 3 éléments que recouvrent l’acronyme ESG.
Tous les épargnants seront concernés ?
Tous les épargnants dès lors qu’ils sont amenés à choisir leurs supports d’investissement sont concernés. Mais au-delà, tous les maillons de l’industrie le sont aussi, du gérant d’actif, quelle que soit sa taille, au particulier, en passant par le distributeur des fonds.
On demandera à l’épargnant de donner ses préférences selon trois critères : l’alignement à la taxonomie et la part d’investissement socialement responsable désirés ainsi que son degré d’aversion aux effets négatifs de ses placements. Ce sera assurément difficile, au départ, car le monde de la gestion est lui-même en phase d’apprentissage de ces nouvelles notions. Mais l’objectif est clair.
Nous allons enfin savoir ce que pensent les clients finaux en matière d’ESG.
C’est également une difficulté supplémentaire pour le gérant d’actif ?
Ceci va en effet compliquer sa tâche. Il devra adapter sa gamme de produits pour répondre au plus grand nombre possible de cas de figures, avec des préférences des clients qui s’expriment selon trois dimensions…. Sur le fond la démarche est bonne mais on demande à l’épargnant de se positionner alors qu’une part du dispositif règlementaire européen est toujours en cours d’élaboration. Pour le gestionnaire d’actif, la problématique est double : il doit échapper aux critiques selon lesquelles il ferait du greenwashing, c’est-à-dire qu’il doit avoir une démarche vraiment sincère et complète en laissant suffisamment de latitude aux réponses des épargnants, mais il doit rester dans un cadre exploitable pour mettre au point une gamme de produits réaliste et gérable.
Qu’est-ce que cela changera, concrètement ?
C’est d’abord et avant tout une première et unique occasion de mesurer la volonté réelle des épargnants en matière d’investissement responsable. Pour beaucoup il s’agira d’une découverte car finalement jusqu’à présent ce sont les acteurs institutionnels qui ont insufflé ce changement d’orientation vers les produits « verts ». Nous allons enfin savoir ce que pensent les clients finaux.
L’industrie de la gestion sera-t-elle transformée ?
Les épargnants vont devoir répondre à des questions très techniques, sur des sujets qu’ils ne maîtrisent pas spontanément comme la notion de taxonomie par exemple. Cela donnera un véritable avantage aux distributeurs et aux gérants d’actifs qui se montreront les plus pédagogues. Par ailleurs les petites sociétés de gestion sont fortement mises à contribution. Elles doivent déployer des ressources importantes au regard de leur taille pour défendre leur gamme, par définition plus réduite, auprès des distributeurs. In fine, on pourrait peut-être imaginer une concentration du marché, les plus petites sociétés de gestion ayant besoin de mutualiser leurs moyens, en particulier humains.
C’est une révolution qui s’annonce ?
Possiblement. Les spécialistes de l’investissement durable ont jusqu’à présent phosphoré dans leur tour d’ivoire, en imposant leurs vues à leurs clients. Maintenant c’est à ces derniers que l’on redonne le pouvoir. Je n’aurai qu’un conseil à donner à ces épargnants : exigez de vos interlocuteurs qu’ils fassent preuve de pédagogie pour vous permettre d’exercer effectivement ce nouveau pouvoir de décision qui vous est donné.