Julien Pouget, chef du département conjoncture de l'Insee
Le chef du département conjoncture de l’Insee revient, pour le Cercle des Epargnants sur les déterminants de l’épargne en période de forte inflation
Que nous apprend l’histoire économique au sujet du comportement des ménages français en période d’inflation ?
Julien Pouget : Le taux d’épargne des ménages dépend mécaniquement de leur revenu disponible et de leur consommation. Plusieurs paramètres économiques peuvent l’influencer : l’inflation bien sûr, mais aussi le niveau des taux d’intérêt ou encore celui du déficit public, lequel peut susciter un comportement ricardien : les ménages épargnent davantage s’ils craignent à terme des hausses d’impôt pour réduire les déficits. La démographie joue aussi car les plus âgés peuvent être moins enclins à épargner.
Si l’on regarde spécifiquement l’impact de l’inflation sur l’épargne, deux effets opposés peuvent jouer. La hausse des prix peut conduire les ménages à vouloir reconstituer leur « encaisse réelle » : ils épargnent alors davantage pour compenser l’effet de l’inflation qui réduit leur patrimoine réel. En sens inverse, les ménages peuvent préférer consommer davantage à court terme, avant que les prix n’augmentent trop, ce qui s’appelle la « fuite devant la monnaie ». En France, historiquement, l’effet d’encaisse réelle l’a plutôt emporté sur l’effet de fuite devant la monnaie.
Est-on aujourd’hui en train d’assister à ce phénomène ?
La situation est particulière pour au moins deux raisons. Tout d’abord, le niveau d’inflation – 5,8% en glissement annuel – est le plus élevé depuis 1985, ce qui rend difficile les comparaisons récentes. Par ailleurs, nous sortons d’une période marquée par une envolée inédite du taux d’épargne : pendant la crise sanitaire et en particulier les mois de confinements, le taux d’épargne avait quasiment doublé, pour s’établir à 27% au printemps 2020, contre 15% en moyenne en 2019. Depuis lors, la consommation n’est plus bridée, certains ménages ont pu commencer à utiliser ce surcroît d’épargne – en particulier les plus modestes, comme le suggère une récente étude du CAE – et le taux d’épargne global a nettement diminué.
Toutefois, à 16,7% au 1er trimestre 2022, il reste bien au-dessus de son niveau d’avant-crise. Et notre dernière enquête de conjoncture auprès des ménages montre que l’opportunité d’épargner reste jugée élevée, même si elle a un peu diminué. Cela tend à indiquer que les ménages sont plutôt dans l’idée de reconstituer leur encaisse réelle.
S’il n’y a pas d’épargne,
il n’y a plus d’investissement, ce qui pénalise bien sûr la croissance future
Quelles sont vos prévisions pour les prochains mois ?
Nous nous attendons, malgré une baisse du pouvoir d’achat, à un léger rebond de la consommation au deuxième trimestre 2022 : elle serait portée notamment par les services (hébergement-restauration, etc.) affectés par la vague Omicron au trimestre précédent. Cela conduirait à une baisse d’environ un point du taux d’épargne, à 15,6% au printemps. Puis nous anticipons pour la deuxième moitié de l’année une remontée de ce taux d’épargne, en lien avec le rebond prévu du pouvoir d’achat, résultant tout à la fois des prochaines mesures qui pourraient être prises par le gouvernement et des hausses de salaires en cours de négociation par les entreprises. Car en général, les ménages tendent à lisser l’effet sur leur consommation des fluctuations trimestrielles de leur pouvoir d’achat. Au final, le taux d’épargne s’établirait entre 16% et 17% au second semestre.
Un taux d’épargne trop élevé ne pèse-t-il pas sur la croissance, à partir d’un certain moment, car il signifie que les ménages limitent leur consommation ?
S’il n’y a pas d’épargne, il n’y a plus d’investissement, ce qui pénalise bien sûr la croissance future. Inversement, s’il y a trop d’épargne, la consommation est affaiblie, et les incitations à investir peuvent aussi en pâtir. Entre ces deux situations, il faut donc trouver le taux d’épargne qui maximise la croissance moyenne de la consommation, sur le présent mais aussi le futur.