L’Astuce

 « La hausse actuelle du prix des matières premières comporte probablement une composante durable  »

par | Juin 2, 2022 | Actualités, Entretiens

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Frédéric Gonand est professeur d’économie à l’Université Paris Dauphine-PSL.
Ancien conseiller économique du ministre de l’économie et des finances

L’inflation des matières premières est-elle durable ? 

La hausse actuelle du prix des matières comporte probablement une composante durable. C’est notamment le cas pour les métaux, dont les prix augmentaient déjà avant la crise russo-ukrainienne. Les cours de l’aluminium, le cuivre, de nombreux métaux dit « high tech (indium, néodyme…) devraient continuer à progresser car la demande est souvent supérieure à l’offre, en lien notamment avec les délais de mise en exploitation d’une mine. Pour les hydrocarbures, le marché du gaz s’était déjà envolé en 2021 et celui du pétrole était déjà tendu avant l’invasion de l’Ukraine, pour le brut comme pour le diesel.

La réorientation des approvisionnements énergétiques de l’Europe est en cours, elle prendra plusieurs mois et se traduira nécessairement, au moins pour un temps, par un approvisionnement énergétique au final plus cher mais moins dépendant de la Russie. Par conséquent, la fin des prix élevés dans les matières premières n’est pas pour demain. Un arrêt des hostilités en Ukraine et une résolution diplomatique demeurent naturellement très souhaitable, non seulement du point du vue humain, mais aussi économique pour alléger les tensions vraiment nombreuses que l’on observe aujourd’hui sur les marchés de matières premières.

Ce serait notamment le cas pour le nickel, que la sidérurgie européenne importe de Russie, et dont le prix a explosé depuis le début de l’année.

Cette hausse est-elle globale ?

Cette hausse du prix des matières premières touche particulièrement l’Europe et beaucoup moins l’Amérique du Nord. A dire vrai, les Etats-Unis et le Canada pourraient tirer profit économiquement de la situation actuelle : le besoin de Gaz Naturel Liquéfié de l’Europe est très important et les Etats-Unis peuvent en produire ; le niveau élevé du prix du baril rend à nouveau rentable la production de pétrole issu des schistes bitumineux au Canada. Et les Etats-Unischerchent aussi à minimiser leur dépendance à certains métaux, à l’image de Tesla qui dépense des sommes importantes pour développer une batterie sans cobalt, permettant de ne pas dépendre de la situation en République démocratique du Congo. Le cas de la Chine – principal importateur mondial de GNL – est important mais il est difficile d’y voir clair en ce moment entre les effets des confinements plus ou moins localisés liés à la pandémie et celui des hausses de matières premières. Toujours est-il que l’économie chinoise semble décélérer au 2e trimestre 2022, ce qui est un sujet de préoccupation. Pour l’Europe, une partie de son malheur est qu’elle ne peut aujourd’hui pas produire davantage de gaz européen : les gisements et gazoducs norvégiens fonctionnement à pleine capacité, et le gisement historique des Pays-Bas, à Groninge, est bientôt épuisé et produit de moins en moins.

Cette inflation aura-t-elle une incidence sur l’économie ?

C’est déjà le cas, en particulier avec l’envolée des négociations salariales par exemple dans l’industrie partout en Europe. Surtout, cette bouffée d’inflation est d’une ampleur qui n’a pas été vue depuis les années 1990 dans de nombreux pays, ce qui signifie que les anticipations inflationnistes pourraient bien se réveiller. C’est tout le débat actuel : le point mort d’inflation en zone euro va-t-il se désancrer de la cible de 2% par an ? Si oui, nous sommes entrés pour quelques années d’inflation plus élevée qu’avant, ce qui fera l’affaire des emprunteurs mais pas vraiment des épargnants. L’amorce du mouvement de relèvement des taux d’intérêt par la Banque Centrale Européenne est vraiment bienvenue. Il ne va certes pas faciliter la tâche des gestionnaires d’actifs dans les prochains trimestres mais il est temps de freiner la tendance, depuis 30 ans, à financer la croissance par de la dette plutôt que par des gains de productivité.

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