L’Astuce

Entretien avec Anne-Catherine Husson-Traore, Directrice Général Novethic

par | Juin 3, 2021 | Actualités, Entretiens, Points de Vue

  • Twitter

Alessandra Gaudio, Directrice des Solutions patrimoniales de Generali France


Anne-Catherine Husson-Traore, Directrice Général Novethic

Anne-Catherine Husson-Traore est la Directrice Générale de Novethic, l’accélérateur de transformation durable du Groupe Caisse des Dépôts qu’elle a co-fondé. Journaliste aux multiples casquettes, elle se passionne pour la finance durable en 2001 et s’attache depuis lors à répondre à la question : comment accélérer la mutation du secteur financier et des entreprises vers une plus grande responsabilité sociale et environnementale ?

Aujourd’hui l’une des voix emblématiques de la finance durable, elle porte en France et à l’étranger la voix d’une finance responsable qui transforme. En 2016, elle est d’ailleurs nommée membre du Groupe d’experts de haut niveau sur la finance durable auprès de la Commission Européenne. Elle participe à de nombreuses initiatives, intervient dans de multiples conférences, enseigne aux étudiants d’école de commerce, et n’abandonne pas pour autant son autre passion, le journalisme.
Anne-Catherine investit toute son énergie pour valoriser, connecter et éclairer les catalyseurs de performance durable et inclusive.

 

« La conversation avec l’épargnant évolue.  Désormais, les gestionnaires de fonds devront demander aux épargnants quelles causes ils veulent promouvoir. » 

Vous avez été une pionnière dans la promotion de l’investissement responsable, le sujet connaît un regain d’intérêt dans ce monde d’après ?

Ce mois-ci est important car la Commission européenne commence à mettre en musique son plan d’action sur la finance durable, inspiré par les travaux d’un groupe d’experts auquel Novethic a participé. Depuis 2018, la Commission européenne a fait de la finance durable une priorité et les différents textes publiés le 21 avril portent sur trois aspects. Un, la taxonomie, cette liste d’éco activités compatibles avec les objectifs environnementaux de l’Union, deux : le nouveau de reporting environnemental et social pour les entreprises, trois : la commercialisation des fonds durables. Les textes actent le fait que le développement durable va devenir un sujet obligatoire entre les conseillers financiers et les épargnants. C’est très important de les intégrer à ce plan d’action.

L’objectif pour le conseiller est d’amener son client à exprimer ses préférences de développement durable pour lui proposer l’offre correspondante. C’est nouveau dans un secteur où on était habitué à travailler selon le raisonnement : « on place cela au mieux pour avoir le meilleur rendement et le moindre risque ».

Concrètement, certains clients ont des attentes écologiques fortes et veulent du « vert foncé », il faut alors leur proposer pour l’instant des fonds labellisés GreenFin proposé par le Ministère de l’Ecologie. Dans deux ans, un éco label devrait lui succéder pour aider à choisir un produit financier sur des critères environnementaux comme on le fait aujourd’hui pour de produits de grande consommation comme la lessive. En investissant dans une économie plus durable, vous pouvez obtenir un double bénéfice : d’une part vous contribuez à atteindre des objectifs environnementaux comme la neutralité carbone ou la réduction des pollutions,  d’autre part vous diminuiez votre exposition à des risques  de dépréciations d’activités ou de secteurs qui peuvent être très rapides tout en identifiant des opportunités sur des marchés porteurs. Les fonds thématiques européens dédiés aux énergies renouvelables que nous recensons dans nos « Market Data » illustrent très bien le phénomène. Ils ont une performance moyenne sur 2020 de +38 % 

Quelles sont les caractéristiques de l’ISR ?

Il combine souvent deux approches, celle qui exclue souvent pour des raisons éthiques et celle qui sélectionne les entreprises les mieux notées sur de dimensions ESG (Environnement, Social, Gouvernance). D’un point de vue éthique, certains épargnants ne souhaitent pas investir leur argent dans des projets qui s’opposent à leurs valeurs sur les droits humains, démocratiques et là, l’approche est plutôt d’exclusion à l’égard des entreprises qui ne respectent pas les dix principes du Global Compact ou Pacte mondial. D’autres veulent investir dans les entreprises qui contribuent activement au développement durable. Ces diverses approches sont classées sous la bannière de l’Investissement Socialement Responsable (ISR). Les fonds peuvent bénéficier, pour être identifiés par les épargnants, d’un label ISR porté par le Ministère des Finances.

Les fonds labellisés ISR garantissent aux clients finaux qu’il y a un processus de sélection sérieux des émetteurs sur des critères ESG et que les « pires » entreprises sont écartées. Cette idée d’alignement des valeurs est importante. Par exemple les investisseurs mutualistes dans le secteur de la santé ont tendance à exclure le tabac. Ce n’est pas logique pour eux de financer une activité nuisible pour la santé. On gagne ainsi en cohérence.

Il y a 20 ans, l’ISR démarrait, l’offre était restreinte. Aujourd’hui, on peut trouver près de 1000 fonds sur le marché français et leurs encours dépassent les 500 milliards d’euros. Le nouveau cadre européen devrait doper cette accélération car aujourd’hui la plupart des grandes sociétés de gestion ont des stratégies offensives.

Cela reste compliqué car on n’est pas encore entré dans une période de normalisation de la finance durable. Chaque maison a ses définitions, ses choix de vocabulaires, ses indicateurs de mesure d’impact environnemental ou social. Difficile pour l’épargnant de s’y retrouver !
C’est un des rôles de Novethic, aider à trier le bon grain de l’ivraie en faisant beaucoup de pédagogie via la plateforme dédiée à la finance durable que nous avons lancée il y a quelques mois et nos formations. Il y a 20 ans, nous avons contribué à faire émerger le concept, maintenant, il s’agit d’aider les acteurs à se repérer dans ce qui est en train de devenir une jungle ou chaque acteur est plus durable que son voisin ! Il y a des sociétés qui, en 24h, se déclarent une stratégie durable. Ce retournement si rapide n’est pas bon signe, c’est la preuve que ce n’est qu’un vernis.

La démarche de labellisation est complexe, le label ISR est un sigle inconnu du grand public mais c’est un label d’Etat. Cela garantit que le processus de gestion mis en place par la société de gestion a été audité par un tiers indépendant et qu’il a été certifié. Il est franchement difficile à avoir donc c’est une garantie solide pour l’épargnant.
Par ailleurs, l’AMF fait le ménage avec sa doctrine publiée en 2020. Elle définit le seuil minimal en -deçà duquel on ne peut pas prétendre à l’appellation ISR. Il faut vraiment qu’il y ait un processus d’intégration des critères ESG dans la gestion financière et qu’il soit clairement expliqué. En principe,, avant d’investir, l’épargnant doit avoir de quoi se renseigner car les réglementations européennes obligent les acteurs financiers à rendre compte. Si l’épargnant ne trouve pas trace, c’est probablement qu’il n’y a pas un réel engagement de l’entreprise. Transparence et traçabilité sont clés !

La conversation avec l’épargnant évolue et les questions sont les suivantes : Vous voulez que cet argent serve à quoi ? A sélectionner des entreprises bien orientées sur le développement durable, à investir sur les orientations vertes et contribuer aux objectifs environnementaux de la Commission européenne ou bien vous vous préoccupez du social avec des fonds orientés sur l’éducation ?  Chacun a ses priorités et peut l’exprimer dans ses investissements. Le gestionnaire continuera de s’intéresser aux projets des épargnants : sur son horizon de retraite, ses projets immobiliers ou le futur de ses enfants mais il complètera ce questionnaire par des arbitrages d’ordre sociétal et sur le chemin que l’épargnant veut prendre pour satisfaire ses aspirations à plus d’équité, au combat contre la pauvreté ou pour l’environnement.

Paris veut devenir le premier centre mondial de la finance à impact, que pensez-vous de cette démarche ?

Paris est historiquement un acteur de la finance à impact. L’engagement affiché par le gouvernement est d’être en plus favorable au placement d’argent avec un objectif d’impact. Si vous voulez contribuer à aider une entreprise non cotée OpenClass Rooms qui permet d’accéder à des diplômes de manière non dématérialisée, si vous voulez générer un impact alors vous investissez dans cette entreprise et elle va rendre compte de sa progression avec le nombre de gens formés, on peut mesurer l’impact de son investissement. Si l’on est interessée par le vert, on peut investir dans une entreprise qui va installer 10 gigawatts dans l’énergie renouvelable. Voilà ce que cela recouvre l’investissement à impact. C’est une véritable révolution.

L’Oreal, par exemple, a une stratégie de diversité remarquable. Si on a quelques actions de ce groupe de cosmétiques, on sait que l’on favorise la biodiversité.

Tout cela a commencé en 2015 mais l’évolution est très rapide par rapport à l’ESG traditionnelle qui prenait une photo des meilleures sociétés avec des infos qu’elle donnait elle-même à une logique de modélisation de l’impact actuelle des entreprises et de leur trajectoire. Si l’on prend le climat, on dit où elles en sont sur leurs émission de CO2 et si leur stratégie va permettre d’être compatible avec l’Accord de Paris. 

 

.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

M