L’Astuce

Les Français, l’épargne et la retraite : ce que nous apprend le baromètre 2021

par | Fév 7, 2021 | Édito

Un an après le déclenchement de la crise de la Covid-19, les leçons de notre sondage sont édifiantes. Confrontés à la menace pandémique, un plus grand nombre de personnes s’avouent désireuses de profiter du présent et prêtes à consommer. De même, les solidarités familiales et intergénérationnelles se sont renforcées, les épargnants restant toujours très averses à la fiscalité de la transmission.

Mais dans l’ensemble, la crise n’a pas fondamentalement modifié le comportement des ménages, ni leur vision de la retraite. Comme dans nos précédentes enquêtes, les épargnants se montrent toujours prudents, sinon frileux, préférant majoritairement des placements liquides et disponibles à des placements à plus hauts rendements, mais plus risqués et moins liquides. La retraite est une période de la vie à laquelle les ménages aspirent, tout en craignant de manquer de moyens pour en jouir pleinement. S’ils sont toujours majoritairement réticents face à un report de l’âge de départ à la retraite, les ménages se font de plus en plus à l’idée de la nécessité de constituer un capital complémentaire pour celle-ci.

 Une « cagnotte » qui fait bien trop d’envieux

La crise économique liée à la pandémie de la Covid-19, nous a réservé quelques surprises sur le plan économique, démontrant à quel point celle-ci ne découle pas tout-à-fait des mêmes mécanismes endogènes que les précédentes, et notamment celle de 2008. Ainsi le soutien massif des Etats et des banques centrales, au secours de l’économie et du système financier, a permis de préserver, voire même d’accroître, les revenus des ménages, malgré la mise à l’arrêt de l’économie.

Bloqués chez eux, les Français ont constitué une épargne dite forcée, supplémentaire estimée par la Banque de France à près de 130 milliards d’euros en 2020. Cette « manne » involontaire fait désormais l’objet de « convoitises » alors que beaucoup s’inquiètent, d’une part, de l’inégalité de sa répartition entre les ménages, et du risque de la voir « dormir » sous des matelas au lieu d’irriguer l’économie et s’investir dans les projets d’entreprises.

Exprimées aux deux bords du spectre de l’échiquier politique, ces considérations nous paraissent aussi vaines que dangereuses. Notons tout d’abord que loin de thésauriser à tout va, les ménages n’ont pas hésité à ouvrir leur porte-monnaie lorsque cela est devenu possible. Dès le 3ème trimestre, et à nouveau en décembre dernier, au sortir du confinement, les dépenses des ménages se sont envolées. Ainsi, le taux d’épargne qui qui avait atteint les 27%, est retombé à près de 17% du revenu disponible. Les plans de soutien budgétaire décidés au cours du printemps et prolongés à l’automne, ont produit l’effet escompté :  préservant le revenu des ménages et soulageant les trésoreries des entreprises – car ces dernières ont également beaucoup épargné. Une relance de type keynésienne se profile donc. Il faut encore attendre la levée des restrictions d’activité qui continuent de peser sur la conjoncture en ce début d’année, pour assister à un nouveau rebond de l’activité. Un seul remède pour y parvenir : l’accélération de la campagne de vaccination dans notre pays, comme partout ailleurs. Après avoir protégé les plus fragiles, ne serait-il d’ailleurs pas temps de vacciner les jeunes adultes, et leur permettre ainsi de retrouver les bancs de la faculté et la vie sociale dont ils sont durement privés ?

Malgré tous les efforts déployés, la remise en route de l’économie ne s’annonce pas aussi générale dans tous les secteurs. Nous l’avons déjà souligné et les indicateurs d’activité le confirment mois après mois, la reprise, déjà vigoureuse dans le secteur manufacturier, tarde dans de nombreux services, et les pertes accumulées ne se rattraperont pas intégralement avant plusieurs années dans certains cas, comme le transport aérien ou encore le tourisme. Alors que certains s’inquiètent déjà du risque de pertes d’emplois, la perspective d’une nouvelle fiscalité risque de figer les comportements et faire croître l’épargne de précaution.

A l’évidence, les ménages les mieux protégés – emplois CDI, revenus plus élevés – ont pu épargner le plus. Comme le montrent les études récentes de l’Insee, les derniers quintiles des revenus ont accumulé près de 70% de l’épargne supplémentaire. Ils ont bénéficié à plein des effets de soutien aux revenus tandis que leur consommation baissait d’autant plus que la part des services y est plus importante. Au contraire des ménages les plus modestes, mais aussi des professions indépendantes, qui ont dû puiser dans leur épargne pour faire face à de pertes de revenus, tandis que les dépenses de première nécessité sont prédominantes. La nécessité de cibler les plus modestes est une priorité de l’Etat en sortie de crise, d’autant que les emplois de services, souvent moins qualifiés, ont été particulièrement touchés durant la pandémie.

La volonté de « fléchage » de l’épargne vers des investissements de plus long terme – et donc plus risqués – a été mainte fois affirmée. Elle semble rester sans suite au vu de la masse des fonds disponibles sur les comptes courants et les livrets réglementés. Disons-le, cette proposition n’est pas nouvelle. Restera-t-elle lettre morte ? Pas tout à fait. Encore faut-il pouvoir donner confiance aux épargnants quant à la pérennité de leurs investissements. Rappelons que, même placés sur des comptes courants, les fonds ne « dorment » pas et sont gérés par les institutions qui en ont la charge. En revanche, le renforcement des règles prudentielles depuis la crise de 2008, contraint les grands investisseurs institutionnels à conserver dans leurs bilans d’importantes liquidités. L’offre de livrets réglementés – dont le plus populaire reste et de loin le Livret A – est d’ores et déjà suffisamment fournie pour que l’apparition d’un nouveau produit de cette nature soit jugée contreproductive et contraignante pour les organismes de gestion, alors que le coût du crédit est actuellement au plus bas. Il reste que depuis la Loi PACTE, l’accès à une épargne retraite de plus long terme, suivant une gestion à horizon et dont les règles de souscription et de retrait ont été simplifiées et assouplies, recueille l’intérêt croissant des épargnants. Après seulement 2 ans, les épargnants que nous avons sondés identifient déjà le PER comme le meilleur support pour constituer une épargne-retraite, devant l’assurance-vie. Plus que tout autre argument, la baisse tendancielle des taux d’intérêt convainc les épargnants de diversifier leurs avoirs et d’investir sur des supports moins liquides et donc à horizon de détention plus éloigné. La tendance est certes modeste et semble bien trop lente à se dessiner aux yeux de nos dirigeants.

L’épargne est avant tout un projet de vie. Se projeter dans l’avenir, accepter de mobiliser une part de ses avoirs sur des projets de long terme, demande non seulement d’être confiant dans l’avenir mais aussi de disposer d’une bonne information sur les supports d’investissement disponibles. Ce n’est pas toujours le cas. La mise en avant du Label France, la taxonomie européenne pour les investissements ESG, sont de nature à éclairer les investisseurs. Ceux-ci doivent se sentir rassurés sur la pérennité des produits auxquels ils souscrivent, tant sur l’information des supports d’investissement que sur la stabilité et la pérennité de leur fiscalité.

Orienter l’épargne vers des investissements de plus long terme, offrant certes un rendement supérieur mais comportant plus de risque, demande que soient énoncés et préservés dans les temps les avantages fiscaux attachés à de tels placements.

L’épargne exceptionnelle constituée lors de la crise de la Covid participe pour l’essentiel d’un comportement d’attente lié aux circonstance particulières que nous traversons. Il en a été de même dans tous les pays soumis au confinement et dont les gouvernements ont pu mettre en place d’importantes mesures de protection. La menace de prélèvements contraints sur cette épargne involontaire se traduira par un report des dépenses et le maintien sur les comptes d’un « matelas » de précaution destiné à faire face à ces dépenses supplémentaires, tandis qu’un rebond plus modéré de l’activité accroîtra l’anxiété face à la menace du chômage.

L’épargne des ménages n’est pas une « cagnotte » dont on peut disposer à tout moment. La confiance se mérite et se cultive.


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