L’Astuce

« Epargner dans un environnement de taux d’intérêt durablement bas »

par | Jan 29, 2021 | Etudes, L'observatoire de l'épargne et de la retraite, Les études

Une étude de Valérie Plagnol, Présidente du Cercle des Epargnants1

Introduction

L’année 2020 restera comme la pire récession qu’ait connu le monde en temps de paix. Provoquée par la propagation mondiale du virus de la Covid-19, la crise est le fruit de l’arrêt brutal et prolongé de l’activité économique dans de nombreux pays ; un arrêt en partie ordonné par les autorités pour contenir la crise sanitaire. Confinements plus ou moins stricts et fermetures des frontières aux voyageurs ont paralysé de nombreux secteurs économiques. La circulation du virus, ses phases de résurgences et désormais sa mutation, ont rythmé les ordres de limitation des déplacements, d’une région à l’autre, prolongeant ainsi l’incertitude. Les campagnes de vaccination, qui ont débuté en toute fin d’année 2020 pour certains pays, représentent un formidable espoir de sortie de crise. De même, les travaux de recherche sur les remèdes à la maladie mobilisent de nombreux laboratoires. Cependant, le temps de l’immunité collective n’est pas encore venu. Les institutions internationales s’inquiètent d’une reprise qui s’annonce encore erratique, sinon décevante en 2021. Certains secteurs tels que l’aéronautique ou plus largement les activités générées par le tourisme comme les pays qui en dépendent, voient les perspectives de reprise repoussées au-delà de 2023.

(…) La pandémie constitue une rupture majeure dans notre histoire récente, et pour nos générations une nouveauté, tant par son ampleur que par la réaction des Etats face à ce danger. Sur le plan économique, elle nous apparaît principalement comme un accélérateur de tendances antérieures. Parmi celles-ci, retenons l’intervention rapide et massive des Etats et des Banques Centrales au chevet de l’économie, afin de parer aux risques d’effondrement des entreprises, de la montée d’un chômage massif et durable et d’une crise financière. Déjà instruits par celle de 2008, les institutions publiques ont ouvert très rapidement les vannes du crédit et des financements. Les actions les plus immédiates ont été un abaissement supplémentaire des taux directeurs des Banques Centrales du monde entier, et le retour de politiques d’achats massifs de dettes publiques, contribuant à maintenir l’ensemble des taux d’intérêt à des niveaux particulièrement bas, voire à les renvoyer en territoire négatif.

Conséquence parmi d’autres de la pandémie, l’épargne des ménages a explosé en 2020, augmentant près de cinq fois plus que l’année précédente. Elle devrait continuer de croître cette année, bien qu’à un rythme un moins soutenu. L’ampleur des sommes accumulées nous renvoie à la question plus générale du comportement des épargnants, et tout particulièrement en période de taux d’intérêt très bas, voire négatifs.

A la veille de la publication de notre baromètre annuel, « Les Français, l’épargne et la retraite » qui paraîtra en février prochain, nous revenons sur l’évolution de long terme de l’épargne en France et les enjeux de la constitution d’une épargne en période de taux d’intérêt très bas.

Dans ce document, nous vous proposons une mise en perspective géographique et historique de l’évolution des taux d’intérêt à court et long terme dans laquelle s’inscrit la France, et qui nous permet d’identifier certaines des causes de ces évolutions. La théorie comme l’histoire récente, ne nous permettent pas d’appréhender totalement ces évolutions, car leurs traits les plus saillants – vieillissement de la population, rôle des Banques Centrales – sont en fait inédits dans notre histoire.

Ainsi nous nous interrogerons sur les caractéristiques particulières de ce cycle de taux et nous tenterons de répondre à la crainte d’une « japonisation » de nos économies. De même, en nous appuyant sur les résultats du baromètre du Cercle des Epargnants, nous tirerons quelques enseignements sur les préférences des Français en matière d’épargne. Enfin, un peu plus d’un an après son lancement, nous nous interrogerons sur l’intérêt que présente le Plan d’Epargne Retraite (PER) dans la constitution d’une épargne de long terme.

Vers une japonisation de l’économie ?

Depuis les années 1980, les taux d’intérêt n’ont cessé de baisser pour atteindre des niveaux durablement bas, nettement inférieurs ceux d’il y a 30 ans. Amorcé au milieu des années 80, sous l’impulsion de politiques monétaires visant à contenir les pressions inflationnistes de la décennie précédente, ce repli s’est amplifié à partir du milieu des années 90. Le monde économique est ainsi passé de la lutte contre l’inflation à la crainte de la déflation. Cette tendance est d’autant plus remarquable qu’elle concerne désormais la majeure partie des économies développées et certains pays émergents. A partir de la crise financière et la « Grande Récession » de 2008, les taux court et long terme nominaux se sont progressivement rapprochés de la limite de zéro, passant en-dessous dans certains cas.

L’impensable s’est alors produit : en Europe et au Japon tout d’abord, tirés par des politiques monétaires que certains résument sous le vocable du « whatever it takes », des rendements à court et long terme des dettes publiques et de quelques émetteurs privés sont allés jusqu’à tomber sous le seuil de zéro. Avec la crise de la Covid-19, cette tendance s’est amplifiée avec, notamment aux Etats-Unis, le retour des taux directeurs de la Réserve Fédérale au seuil de zéro (voir Graphique 1), et la baisse du taux d’intérêt de la dette publique à 10 ans, sous le seuil des 1%.

Graphique 1

  • Twitter

L’évolution des taux d’intérêt à long terme de la dette française s’inscrit dans ce mouvement général (voir Graphique 2). Par ailleurs, elle suit de très près l’évolution des rendements allemands – référence pour la zone euro. Pourtant, aussi minime soit-il, l’écart entre les taux d’intérêt à long terme français et allemands reste un signal des écarts de performance entre les deux pays.

Graphique 2

  • Twitter

Cette baisse durable des rendements est-elle le symptôme d’une « japonisation » de l’économie ? Les facteurs structurels et conjoncturels, qui président à ces tendances de long terme, laissent entrevoir d’importantes similitudes.

L’évolution des taux à long terme en France depuis les années 60

Rechercher les causes de cette baisse durable des taux d’intérêts revient à s’interroger sur l’ensemble des phénomènes et transformations économiques et financières qui ont marqué ces quatre dernières décennies. Nous aborderons ce chapitre par un retour en arrière plus lointain encore, nous permettant une mise en perspectives indispensable à l’analyse des tendances récentes en matière d’évolution de l’inflation et des taux d’intérêt.

1. De la hausse des taux comme instrument de lutte contre l’inflation…

Des années 1950 aux années 1980, les rendements obligataires nominaux français ont connu une hausse d’abord lente, suivi d’une phase d’accélération, passant de près de 4% au début des années 1950 à plus de 16% au début des années 1980 (voir Graphique 1). Nous pouvons distinguer deux phases : 

  • La période des années 1960-1970 marque la fin de la reconstruction et de la guerre d’Algérie, cette dernière met un terme à l’instabilité monétaire de la IVème République avec l’instauration du Nouveau Franc en 1959. La France connait alors une période de croissance soutenue de son PIB (en moyenne 4,5% l’an2 sur la période), ainsi qu’une progression constante mais modérée de l’inflation et des taux d’intérêt à long terme, qui passent progressivement de 5,5% à 7,5% au début des années 1970.
  • Cette période s’achève avec le premier (1973-74) et le deuxième choc pétrolier de (1979). La France, comme la plupart des pays du monde, connait alors une accélération de l’inflation qui dépasse les 10% l’an (voir Graphique 3). Alors que le système d’indexation des salaires et des prix enclenche une spirale de hausses auto-entretenues, les épargnants subissent une érosion de leur épargne par l’apparition de taux d’intérêt réels négatifs (voir Graphique 4). La progression prix/salaires est telle que beaucoup sont victimes « d’illusion monétaire », tandis que s’installe un chômage de masse. Face à l’érosion de l’épargne, les emprunteurs sont gagnants. Rappelons-le, beaucoup de français ont pu, durant cette période, acquérir un bien immobilier grâce à un emprunt à taux fixe, largement rogné par l’inflation. Cette période de stagflation ne sera remise en cause que très progressivement – et partiellement – au cours des années 80. Sur le plan international, la suspension puis l’abandon de la convertibilité du dollar à l’or (1971 et 1973), avait parallèlement ouvert la voie au flottement libre des monnaies. Face à cette nouvelle donne, les Banques Centrales ont dû réinventer leurs politiques monétaires, afin de lutter contre l’inflation, source de dépréciation des devises et d’appauvrissement des économies.

Graphique 3

  • Twitter

Graphique 4

  • Twitter

A partir de la fin des années 70, Paul Volker à la tête de la Réserve Fédérale des Etats-Unis, met en place une politique monétaire visant à lutter exclusivement contre l’inflation. Ce faisant, la Banque Centrale des Etats-Unis s’engage sur la voie d’une hausse systématique de ses taux directeurs afin de briser la spirale du crédit et de l’inflation. Le jeu de la libre fluctuation des monnaies conduit à des arbitrages de même nature pour les principales Banques Centrales du monde. Aux Etats-Unis comme au Royaume-Uni, ces politiques s’accompagnent d’une libéralisation de l’économie (fin des contrôles de prix, libéralisation du marché du travail – fin des « closed shop » au Royaume Uni par exemple, ou en France, le « le tournant de la rigueur » à partir de 1982 -, de restrictions budgétaires et de flexibilisation du marché du travail.

Ainsi, l’activisme monétaire des Institutions nouvellement indépendantes, dans un contexte d’ouverture des marchés et du commerce mondial, ainsi que la libéralisation de la circulation des capitaux, ont contribué à anéantir progressivement les anticipations inflationnistes et ont participé du repli de plus en plus durable des taux directeurs. A partir des années 90 avec la chute du mur de Berlin et l’ouverture de la Chine au monde, un mouvement quasi continu de baisse des rendements obligataires s’amorce (voir Graphique 1).

Durant cette phase, la baisse rapide de l’inflation permet ainsi aux épargnants (français entre autres) de bénéficier d’une période de taux d’intérêt réels élevés, en moyenne de 5,5%, sur la période allant de 1985 à 2000 (voir Graphiques 3 et 4).

En France, cette période correspond au déploiement des supports d’épargne tels que l’assurance-vie, dont l’essentiel des placements est en obligations d’Etat (fonds en euros). La baisse des rendements réels allège progressivement le coût de la dette publique. Mais compte tenu de l’inertie des durations (la maturité moyenne de la dette est supérieure à 6 ans en France), ce repli ne s’opère que très progressivement, pour véritablement se faire sentir à partir du milieu des années 2000.

2. …Au spectre de la déflation.

Dès le début des années 90, les taux d’intérêt nominaux des principales économies du monde baissent. Le mouvement s’amorce au Japon au lendemain de l’éclatement de la bulle immobilière et financière du début des années 90, et s’accentue tout au long de ce qu’on retiendra comme les deux « décennies perdues » du pays. La tendance n’est pas moins spectaculaire aux Etats-Unis et en Allemagne, où les rendements perdent plus de 6 points de pourcentage sur la période (voir Graphique 1). Celle-ci s’accentue encore au lendemain de la crise des subprime de 2008.

Durant la période de lutte contre l’inflation, d’importantes mutations et chocs économiques apparaissent, qui sont également à l’origine de ces transformations.

a. Le ralentissement de la productivité et de la croissance potentielle : vers une baisse de l’investissement global

Depuis la fin des années 1990, le ralentissement de la productivité a conduit à une baisse de l’investissement mondial dont a résulté un abaissement général des rythmes de croissance. Même si l’on inclut l’expansion exceptionnelle de la Chine, la croissance globale de 4% par an entre 1997-2006est passée en moyenne 3,5% par an sur la décennie 2007-2017. On assiste alors à la mutation de l’économie mondiale qui voit sa croissance potentielle s’affaiblir à mesure qu’apparaissent des freins structurels tels que le ralentissement de l’emploi – avec le vieillissement de la population –, la diminution du stock de capital – dans une économie de plus en plus immatérielle et digitalisée – et la baisse de la productivité globale des facteurs.

En effet, en France, la croissance de la population active baisse, tandis que l’accélération du vieillissement de la population pèse sur les performances économiques.  De même la productivité globale des facteurs décélère et se traduit par un ralentissement de la productivité du travail qui est passée de plus de 5% dans les années 1950-1960 à moins de 1% à partir de la crise financière de 20083. Cette faiblesse des gains de productivité réduit la demande de capitaux pour cause d’investissements productifs moins rentables dans une économie de plus en plus immatérielle, qui requiert par conséquent moins d’investissements physiques4. Or, la baisse de l’investissement induit une pression à la baisse sur la croissance potentielle et, par répercussion, sur le taux naturel de l’économie. Ce taux naturel est celui qui permet à l’économie d’atteindre une production maximale sans accélération de l’inflation. Il s’agit donc d’un objectif autour duquel gravitent les taux d’intérêts fixés par les Banques Centrales : une diminution du taux d’intérêt naturel causée par une faible croissance potentielle induit une baisse durable des taux d’intérêts observés dans l’économie.

b. Le « global saving glut », ou l’accumulation exceptionnelle d’épargne dans le monde

Dans son discours en mars 2005, Ben Bernanke, alors Président de la Réserve Fédérale des Etats-Unis, mettait en évidence une nouvelle dynamique mondiale : « Durant la dernière décennie, une combinaison de diverses forces a entrainé une augmentation significative de l’offre mondiale d’épargne, en un excès mondial d’épargne (« global saving glut »), […] et celle-ci explique le niveau relativement faible des taux d’intérêt réels de long terme dans le monde aujourd’hui ».5

Cette hausse du taux d’épargne mondiale a été alimentée par l’accumulation des réserves de change dans les pays émergents, la baisse des inégalités entre pays développés et économies émergentes et l’allongement de la durée de vie conjugué au vieillissement de la population. 

Tout d’abord, les modèles économiques des pays émergents expliquent en partie l’augmentation de l’épargne mondiale qui alimente les besoins de financement du reste du monde. En effet, les pays largement exportateurs et tributaires du dollar ont accumulé d’importantes réserves de change après la crise de 1998, afin de se constituer des « matelas de sécurité » en cas de sorties brutales de capitaux hors de leurs pays. La Chine à elle seule – qui pratique toujours un contrôle des changes – cumule plus de 3000 milliards de dollars de réserves de change. Ainsi, ces réserves sont majoritairement composées de titres étrangers dont des obligations publiques pour la plupart libellées en dollar. Ces afflux constants de capitaux ont contribué à la baisse des taux d’intérêt, notamment de la dette à long terme américaine. De même, les pays producteurs de pétrole qui ont vu le prix de « l’or noir » augmenter entre les années 1980 et 2000, en ont profité pour se constituer une épargne abondante, recyclée dans des fonds souverains, eux aussi acquéreurs d’actifs principalement libellés en dollar.

Par ailleurs, la baisse des inégalités dans le monde, et l’ascension d’une importante classe moyenne dans les nouvelles économies émergentes, ont contribué à l’accumulation supplémentaire d’épargne privée, d’autant plus nécessaire que les systèmes de protection collectifs étaient peu avancés. Selon la « courbe de l’éléphant » décrite par l’économiste Branko Milanović6, la croissance mondiale a surtout bénéficié aux classes moyennes des pays émergents ainsi qu’aux classes aisées des pays développés. Entre 1988 et 2008, les revenus des classes moyennes des pays développés ont progressé de 10% en environ tandis qu’ils augmentaient de plus de 60% en pour les classes moyennes des pays en développement. Cette redistribution des revenus a eu pour effet d’élever le niveau général de l’épargne des ménages dans les pays émergents qui sont passés au-dessus de ceux des économies avancées depuis 20007. La croissance plus rapide des revenus dans les pays en développement ainsi que la captation d’une partie de cette croissance par les 1% les plus riches – qui ont une forte propension à épargner – dans les pays développés, ont conduit à une augmentation de l’épargne mondiale.

Enfin, l’évolution démographique de la population joue un rôle majeur dans l’augmentation du taux d’épargne et son allocation vers l’investissement. L’arrivée simultanée des premiers contingents de « baby-boomers » à l’âge de la retraite dans de nombreux pays, et la déformation des pyramides des âges en faveur des classes plus âgées, ont contribué à l’accroissement de l’épargne. La pyramide des âges de la France révèle un accroissement de la classe d’âge comprise entre 45 et 60 ans ;  selon l’Insee, en 2020, elle représente 19,8% de la population française. Or, selon le cycle de vie décrit par l’économiste Modigliani8, cette classe d’âge, dont la propension à épargner est la plus importante, se trouve en position d’organiser sa retraite, d’autant plus  que monte la crainte d’une insuffisance de revenu distribué par le système de répartition  (voir Graphique 5). De plus, l’allongement de l’espérance de vie tend à déformer la courbe de Modigliani en faveur d’une prolongation – voire même d’une reprise – des périodes d’accumulation d’épargne (voir Graphique 6). En effet, les nouveaux retraités, plus actifs, continuent d’épargner.  Le taux des personnes âgées de 60 à 64 ans est passé de 15% en 2008 à 33% au premier trimestre 20209. De même après 80 ans, l’épargne progresse pour des motifs de transmission. Ainsi l’allongement de l’espérance de vie et le vieillissement de la population expliqueraient cette hausse du taux d’épargne, qui s’accompagnerait d’une préférence plus marquée pour les placements sans risques, c’est-à-dire essentiellement les produits de dette et notamment de dette publique. Cette configuration est particulièrement visible en Europe et au Japon, et s’illustre par la persistance de balances courantes excédentaires (voir Graphique 7).

Graphique 5

  • Twitter

Graphique 6

  • Twitter
Données 1995
Source : « Du nouveau sur le taux d’épargne des ménages français ? » Fraisse H., 2004, BULLETIN DE LA BANQUE DE FRANCE – N° 130 , https://www.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/banque_de_france/archipel/publications/bdf_bm/etudes_bdf_bm/bdf_bm_130_etu_1.pdf

Graphique 7

  • Twitter

En conclusion nous pouvons dire que la crise financière qui a éclaté au Japon au début des années 90, tout d’abord été considérée comme un phénomène « à part » par les japonais eux-mêmes comme par le reste du monde, présente des éléments avant-coureurs de tendances économiques et financières que l’on retrouve par la suite dans d’autres régions du monde. A la gestion « calamiteuse » de la crise immobilière et financière des années 90, et face à la montée en puissance de l’économie chinoise, la toile de fond économique du Japon est porteuse d’enseignements bien plus généraux.

Les évolutions que nous venons d’évoquer – ralentissement de la productivité, décélération de l’inflation, vieillissement de la population, baisse de l’investissement et des taux directeurs durablement bas, endettement public – suggèrent des caractères communs à nombre d’économies développées, qui conduiraient à la baisse tendancielle et générale de la croissance potentielle et des rendements. Plutôt qu’une exception, le Japon ferait alors figure de précurseur (voir Graphique 8). Aujourd’hui, le vieillissement rapide de la population chinoise, après les années d’expansion accélérée, inquiète également les autorités du pays, qui revoient désormais leurs prévisions de croissance de long terme sous les 5% l’an (4,7% par an selon le plan 2035), alors que celui-ci reste « coincé » dans la catégorie des pays dits à revenu moyen (selon la classification de la Banque Mondiale), c’est-à-dire avec un revenu moyen par habitant environ 5 fois plus faible que celui des Etats-Unis.

Graphique 8

  • Twitter

En 2020, la population française âgée de plus de 65 ans représente 20,5% de la population totale10, contre 19,7% en 2018. Selon le scénario central de l’Insee, en 2030 les plus de 65 ans compteront pour 29,6% de la population française totale, 32,8% en 2050, avec une prépondérance croissante du nombre des personnes âgées de plus de 75 ans. Parallèlement, la part de la population de 20 à 59 ans, qui compte pour 49,4% de la population, devrait passer à 47,4% en 2030 et 44,9% en 2050. Cette tendance se retrouve dans l’ensemble des économies développées, l’Allemagne et la Japon étant parmi les plus avancées et leur population totale étant en baisse. Il est clair que ces évolutions mettent en péril le système des retraites par répartition, comme elles pèsent sur les systèmes de protection de santé collective.

A ces tendances structurelles de long terme, il convient d’ajouter des facteurs plus spécifiques, tels qu’en Europe, l’instauration de la monnaie unique, qui a provoqué une formidable convergence des taux entre les dettes des pays membres de la zone euro. Depuis la crise de 2008, c’est l’influence directe des Banques Centrales qu’il convient de relever. De nombreuses études relèvent leur caractère déterminant, mais est-il pour autant durable ?

c. De la création de l’euro et la convergence des taux en zone euro…

A partir de 1996 la préparation de l’adoption de l’euro ouvre la période de la convergence des rendements obligataires des pays concernés par l’adoption de la nouvelle devise dès 1999.  C’est ainsi que les écarts de rendements entre les dettes des pays dits « de la périphérie » (Italie, Espagne, Portugal) connaissent un formidable engouement. L’euro, en supprimant le risque de change – qui compte pour plus de 90% du risque de taux d’une dette publique – a eu pour effet de faire converger l’ensemble des rendements obligataires vers le taux d’intérêt de référence le plus bas, c’est-à-dire celui de la dette allemande, et ce, jusqu’à la crise de 2011 (voir Graphique 9). Jusqu’alors à la suite du déclenchement de la crise grecque, les marchés avaient pris en compte la convergence effective des rythmes d’inflation des pays concernés, négligeant l’accroissement des encours des dettes publiques des pays concernés. Ce n’est qu’avec la crise grecque à partir de l’hiver 2010, que la réapparition d’un risque de sortie de la zone euro, a déclenché un mouvement de ventes massif sur les dettes des pays les plus menacés, au point menacer l’unité et la pérennité de la monnaie unique. Les dissensions au sein des pays membres de la zone euro, l’absence de « doctrine » ou encore d’outils permettant d’organiser une forme de solidarité entre pays membres, ont provoqué des tensions majeures sur les marchés de la dette portugaise, espagnole et italienne. A l’été 2012, et parallèlement à l’instauration du MES (Mécanisme Européen de Stabilité) la Banque Centrale Européenne, cautionnée par l’ensemble des pays de la zone euro, a alors choisi de maintenir « quoi qu’il en coûte » un accès général à la liquidité et au financement des dettes des pays de la zone euro. En rétablissant la confiance des marchés, elle a évité la dislocation – déjà annoncée par certains – de l’édifice de la monnaie unique. 

Graphique 9

  • Twitter

d. …Au rôle déterminant des Banques Centrales et de leurs politiques monétaires

Les Banques Centrales sont-elles victimes de leur succès ? 40 années – voire plus – de lutte contre l’inflation, les ont-elles rendues impuissantes face à ces changements structurels ? Rappelons que depuis la fin de la suspension de la convertibilité du dollar et la généralisation d’un système de taux de change et de capitaux flottants, leur rôle et leur mode d’intervention a fortement évolué. Suivant la théorie du triangle d’incompatibilité de Mundell11, les Banques Centrales ont centré leur mission sur la stabilité des prix (le mandat de Réserve Fédérale des Etats-Unis lui confère pour mission de promouvoir le plein-emploi et la stabilité des prix), gage de la stabilité des changes et de modération des coûts de la dette publique.

Depuis la crise de 2008, un changement de paradigme s’est opéré, amplifié par la crise de l’euro en 2011-2012. La crise financière de 2008 et ses conséquences ont conduit les Banques Centrales européenne, américaine et japonaise, d’une part à faire baisser leurs taux directeurs jusqu’à zéro, voire à taux négatifs, et d’autre part à intervenir directement en soutien des systèmes financiers et aux économies, en achetant au marché secondaire des volumes importants de dette principalement publique, afin d’assurer la liquidité des systèmes financiers. Ces interventions dites conventionnelles et non conventionnelles, ont permis au système bancaire d’assainir progressivement ses bilans, et aux Etats de soutenir l’activité économique – en desserrant la contrainte de crédit qui pesait sur les acteurs économiques non financiers.

Ce faisant, les Banques Centrales se sont également retrouvées à accumuler des montants importants de dettes publiques dans leurs portefeuilles, limitant ainsi les hausse des rendements obligataires (voir Graphique 10). Les craintes de déflation – liées à la récession – comme leurs interventions, ont entretenu une spirale de baisses supplémentaires des taux d’intérêt.

Graphique 10

  • Twitter

Ainsi, alors que l’évolution générale des prix comme les anticipations restent en-dessous de leur objectif – officiel ou non – de 2%, les Banques Centrales poursuivent des politiques monétaires proactives d’achats d’actifs. Les tentatives de normalisation de ces actions – entamées en 2015 aux Etats-Unis – ont tourné court dès avant la crise de la Covid-19 – alors que la conjoncture donnait des signes d’essoufflement. Elles sont totalement abandonnées au printemps 2020 avec les mesures de confinement et l’arrêt brutal de l’économie. Ainsi, la Banque Centrale Européenne (BCE) a étendu la palette de ses interventions a ajoutant entre autres à son arsenal le PEPP12, accroissant encore et de manière discrétionnaire les encours de dette publique qu’elle détient en portefeuille. A ce jour, la Réserve Fédérale des Etats-Unis a accumulé près de 34% du PIB US, la Banque de France environ 25% du PIB français, la Banque du Japon 135% du PIB japonais. A ce jour, l’encours total des dettes publiques détenues par les Banques Centrales des Etats-Unis, d’Europe, du Japon et de Chine est de 29 000 milliards de dollars13, soit une augmentation d’achats de près de 10 000 milliards de dollars au titre de 2020 et de la lutte contre les effets économiques de la pandémie.

La vitesse et la puissance de réaction des principales institutions financières des économies avancées lors de la pandémie de la Covid-19, ont eu des effets bénéfiques au-delà de leur marché et de leurs frontières. En effet comme le montre le graphique 11, les Banques Centrales des pays émergents ont pu abaisser leurs taux directeurs, sans souffrir du risque de pénurie de dollars. De même, le report vers les marchés boursiers – et les entreprises – d’une épargne abondante, a permis d’endiguer les pertes de liquidité et de fonds propres des sociétés, voire de continuer d’alimenter leurs plans d’investissement.

Graphique 11

  • Twitter

Alors que la violence du choc économique menaçait de plonger le monde dans une déflation générale, l’action conjointe des états et des Banques Centrales a certainement permis d’endiguer la surcharge des systèmes de santé et de limiter à la fois l’ampleur et la durée de la récession.

En France, l’intervention rapide et massive des pouvoirs publics, au secours notamment de l’emploi, a permis de limiter les pertes, voire dans nombre de cas, de préserver les revenus des ménages. Nombre d’entreprises ont également pu bénéficier de prêts garantis par l’Etat, l’occasion pour certaines d’accumuler des liquidités dont elles n’ont pas encore eu à faire usage.

Selon la Banque de France, en 2020 l’épargne des ménages a bondi de près 130 milliards d’euros, soit un taux de 21%14 après avoir atteint 27% au deuxième trimestre, contre 14,9% fin 2019. Ce surplus d’épargne devrait encore s’accroître de 70 milliards d’euro pour l’année 2021. Ce phénomène n’est pas propre à notre pays. Il résulte de la constitution d’une épargne forcée, liée d’une part à la préservation des revenus de nombre de salariés, et d’autre part à l’impossibilité de consommer de nombreux produits et services, durant la première période de confinement. Avec la réouverture des activités et les vacances d’été, les français ont en partie puisé dans cette épargne accumulée. Celle-ci reste néanmoins au-dessus de son niveau d’avant-crise, se transformant en épargne de précaution, du fait de la crainte des pertes d’emploi et du contrecoup de l’augmentation de la dette publique sur la fiscalité. Il reste que ce surplus d’épargne ne concerne pas toute la population. Les personnes les plus précaires et aux revenus les plus modestes, et non salariées, ont en fait dû puiser dans leur épargne. Cette crise, qui a particulièrement touché le secteur des services, a structurellement plus durement touché l’emploi des femmes, majoritaires dans les secteurs des services. C’est un changement important par rapport aux évolutions antérieures. Ces dernières, aux revenus en moyenne inférieurs à ceux des hommes, se trouvent encore plus désavantagées dans la constitution d’une épargne-retraite complémentaire.

Cette épargne de précaution est-elle susceptible de se transformer en une épargne longue ? Le récent baromètre épargne de l’AMF15 révèle que, suite à la crise, 1 Français sur 5 envisage d’effectuer des changements sur ses placements à long terme: 46% d’entre eux souhaitent privilégier une épargne disponible à tout moment tandis que 44% envisagent une épargne à long terme, quitte à la bloquer.

De ce fait, la persistance de la circulation du virus en ce début d’année n’incite pas les ménages à puiser dans l’épargne constituée durant l’année 2020, bien au contraire. L’augmentation de l’incertitude, la hausse du chômage (partiel ou complet), les risques de faillites, la poursuite de politiques monétaires et budgétaires ultra-accommodantes, conduisent les ménages à être prudents. L’augmentation de la dette publique a pour effet de faire craindre les hausses futures de la fiscalité pour combler les déficits. Ces « équivalences ricardiennes » sont de nouvelles incitations à épargner.

Epargner dans un environnement de taux d’intérêt bas

Les enseignements du baromètre du Cercle des Epargnants

Le Baromètre annuel du Cercle des Epargnants nous renseigne sur les comportements et les attentes des ménages en matière d’épargne et de retraite. En 202016, sans surprise, la principale motivation des personnes interrogées à propos de leur épargne, est la nécessité de se constituer un matelas de précaution (58%), puis la préparation de la retraite (pour 25% des personnes interrogées).

Bien qu’ayant été réalisé avant l’annonce officielle de la pandémie et le confinement de mars, le sondage retrace déjà que la préférence des Français pour l’épargne de précaution est importante. Probablement trop, au regard de la réalité des besoins qu’il faudrait effectivement couvrir, dans un pays où les protections sociales collectives sont plus que développées. Aussi, n’est-il pas très surprenant que le Livret A, reste de loin le placement préféré des français. Il a dépassé les 300 milliards d’euros d’encours en 202017  contre 125 milliards en 2008. Même avec un taux réduit (voir Graphique 12) – le Livret A, conserve beaucoup d’attraits : net d’impôt, garanti, il est liquide et disponible à tout moment.

Graphique 12

  • Twitter

La crise de la Covid-19 n’a fait qu’accentuer l’appétence des ménages pour les produits d’épargne tels que le Livret A, tandis que les fonds déposés sur les comptes courants étaient également en très nette augmentation (voir Graphique 13). Est-ce de l’Attentisme ou l’impossibilité de réaliser des opérations plus complexes telles que ou de passer des ordres sur d’autres produits d’épargne ? La fermeture des agences bancaires a certainement contribué à cette tendance. Cependant, nous relevons que, d’une part les Français n’anticipent pas de risque inflationniste, et que d’autre part ils restent très méfiants quant à l’avenir, tant sur le front de l’emploi que sur celui du contrecoup fiscal des dépenses budgétaires.

Graphique 13

  • Twitter

La théorie nous enseigne que ces comportements de précaution, dits d’équivalence ricardienne, peuvent prendre le pas sur la volonté de consommer. En effet, lorsque les dépenses publiques augmentent, dans le cadre de politiques expansionnistes, les ménages anticipent le surcroît d’impôt qui leur sera prélevé ultérieurement dans le but de rembourser le creusement du déficit public engendré par ces dépenses. Par conséquent, l’effet keynésien initial des dépenses publiques peut s’avérer limiter par les anticipations des ménages, conduisant ces derniers à épargner et non pas à consommer plus. De même, nous voyons que la baisse des taux d’intérêt, que les ménages n’ignorent pas, les incitent plutôt à épargner davantage, afin de préserver les revenus à terme.

De son côté l’assurance-vie, produit d’épargne longue largement plébiscitée et qui est mieux associée à la constitution d’un capital-retraite (l’assurance se maintient en tête (33%) des produits d’épargne préférés des Français), a connu une fortune plus contrastée. Si notre baromètre continue de signaler le réel attachement pour l’assurance-vie (environ 4 Français sur 10 détiennent un contrat d’assurance-vie) en 2020, elle a connu une décollecte nette. La baisse continue des rendements des fonds en euro, la possibilité d’en retirer une partie en cas de besoin, des transferts vers les supports en unités de compte, sont les principales causes de ce repli.

Sur les 11 premiers mois de l’année 2020, la décollecte nette de l’assurance-vie a atteint 7,3 milliards d’euros (contre +23,3 milliards sur la même période en 201918). Les versements en unités de compte augmentent et représentent 34% des cotisations (contre 27% l’année précédente). L’encours total de l’assurance-vie s’élevait fin novembre à 1 785 milliards d’euros, dont près de 600 milliards d’euros en obligations d’Etat19.

Les débuts prometteurs du PER. Dès le début de 2020 – c’est-à-dire seulement quelques mois après son lancement – l’intérêt des épargnants pour le PER était déjà perceptible dans notre sondage (25% des sondés affirmaient que le PER est le meilleur produit d’épargne pour la retraite, venant concurrencer l’assurance-vie qui est toujours considérée comme le meilleur placement pour la retraite (33%) mais qui est en recul). La loi PACTE a assoupli les conditions de sortie des contrats de retraite, une opportunité bien comprise par les épargnants. Notre sondage 2021 devrait confirmer cette tendance. La plus grande flexibilité des contrats quant à leurs conditions de sorties en font un support plus attractif d’épargne à horizon. Elle vient compléter la palette des produits d’épargne longue.

  • Les épargnants français, face à des taux durablement bas, s’orienteraient-ils plus vers une diversification de leur portefeuille ?

Le Baromètre du Cercle des Epargnants le confirme, les trois quarts des Français savent que les taux d’intérêt sont bas. Pour 16% d’entre eux (contre 19% en 2019), les faibles taux les incitent à choisir des placements à long terme mieux rémunérés et pour 8% (contre 9% en 2019) à épargner sur des produits financiers un peu plus risqués.

En 2020, les ménages français restaient très prudents, et la volonté des ménages de diversifier leur portefeuille avait légèrement reculé par rapport à 2019. Dans un contexte d’incertitudes grandissantes et de creusement des inégalités, cette tendance semble s’être matérialisée par l’afflux d’épargne forcée et de précaution sur les produits de très court terme. La pandémie accentue ces tendances. Selon le CAE20, « l’épargne est très au-dessus de la normale pour les plus aisés, elle est en dessous pour les plus modestes ». La hausse des placements à risque profite plus directement aux revenus les plus élevés.

Parallèlement, une étude de l’AMF21 montre que la crise de la Covid-19 a suscité un regain d’appétit des Français pour la Bourse. Au cours du seul mois de mars 2020, les achats d’actions françaises du SBF 120 par des investisseurs particuliers ont été multipliés par 4, plus de 150 000 nouveaux investisseurs représentant 27% des particuliers acheteurs d’actions. Selon cette étude, ces nouveaux investisseurs sont plus jeunes – moins de 40 ans – que les investisseurs habituels, ce qui explique aussi que les sommes investies sont plus modestes qu’habituellement – les montants médians de ces nouveaux investisseurs sont deux fois inférieurs à ceux des investisseurs avertis. D’autres enquêtes confirment l’intérêt croissant des « millénials» pour les actions, leur confiance dans les nouveaux outils d’intelligence artificielle en matière de conseil et leur souci d’investir en conformité avec les critères ISR/ESG22.

Effet du confinement ou mouvement plus durable ? Engouement passager et précurseur d’une bulle ? Il est encore difficile de trancher. Cependant, il semble assez évident que les plus jeunes générations se montrent moins averses au risque. De plus, avançant en âge, les « millénials », sont en mesure de consacrer une partie plus significative de leur revenu à l’épargne.

  • Vers une constitution d’un complément de retraite, les épargnants adoptent une attitude plus proactive à l’égard de leur retraite

La retraite est un sujet qui inquiète la majorité des Français, notre baromètre en rend compte chaque année. En 2020, 64% des Français se disent inquiets pour leur retraite et 74% pour le système de retraite dans son ensemble. Les principales inquiétudes portent sur la pérennité du système de retraite par répartition, et donc sur la crainte de manquer d’argent à la retraite. Une situation qui devient moins préoccupante pour les retraités. Ceci suggère que cette inquiétude tient principalement à la difficulté que perçoivent les actifs à connaître à l’avance le montant de leurs revenus de futurs retraités. De même, on note que de plus en plus de jeunes sont préoccupés par ces questions : 21% des moins de 35 ans affirment déjà penser à la retraite. On ne peut que constater une défiance croissante envers le système de retraite actuel et la volonté de prendre en main son propre avenir, mettant en cause implicitement le système de solidarités intergénérationnelles dans lequel un nombre croissant de « jeunes » ne se reconnaissent plus tout à fait.

Face à ces doutes, le lancement du nouveau produit d’épargne PER, rencontre un réel intérêt auprès d’un public assez large, soucieux de compléter sa retraite. Ayant fait l’objet d’une importante campagne d’information, le produit séduit par les conditons de souscription, de gestion et de sortie, nettement assouplies par rapport aux produits d’épargne – retraite précédents.

Le PER trouve son public

En instaurant le Plan d’Epargne Retraite, dans le cadre de la loi PACTE, le gouvernement a cherché à encourager la constitution d’une épargne-retraite complémentaire longue, tout en permettant de « flécher » une partie croissante des fonds d’épargne des Français vers le financement de « l’économie réelle », au travers d’investissement dits à risque, mais à meilleur rendement, donc sur un horizon de placement compatible avec ce type d’actifs. L’objectif affiché était de porter cette épargne à 200 milliards d’euros. Une goutte d’eau diront certains, au regard de l’encours total des assurances-vie qui s’élève à près de 1 8000 milliards d’euros23.  En fait, la possibilité de souscrire durant son activité à un plan de retraite, aux conditions améliorées et sur un horizon de placement long, devrait clairement attirer de nouveaux investisseurs. Par ailleurs, la constitution d’un capital pouvant désormais constituer un apport pour l’acquisition d’une résidence principale, on pourrait assister à une « rajeunissement » des souscripteurs.

Le PER se présente comme un produit d’épargne complémentaire à horizon, apportant une plus grande simplicité et une plus grande flexibilité que les produits d’épargne collective et individuelle qu’il a désormais remplacés (PERP, Madelin, Art 83). Sa principale innovation réside dans l’élargissement des options et des motifs de sortie : rente ou capital, ainsi que l’achat de la résidence principale. Les profils de risque étant déterminés, les épargnants peuvent déléguer la gestion des portefeuilles à leur mandant.

Ainsi, dans un système où la retraite par capitalisation tend progressivement à s’imposer, ce produit pourrait donc permettre aux épargnants de constituer une épargne longue pour préparer leur retraite, tout en réalisant un arbitrage personnalisé entre rendement et sécurité, selon leur profil.

Conclusion

Depuis de nombreuses années, les taux d’intérêt français s’inscrivent dans le mouvement général de baisse tendancielle des taux d’intérêt.  Du point de vue des épargnants, ce n’est que très récemment que ce mouvement est perceptible, car il s’est accompagné d’un repli généralisé et spectaculaire des rendements réels, passés en territoire négatifs et désormais de taux d’intérêt nominaux négatifs.

Ainsi en quelques 40 années le monde économique et financier  centré sur la lutte contre l’inflation a basculé dans la crainte de la déflation et l’impuissance face au repli des prix et au ralentissement de la croissance potentielle. Plus de 10 ans après la crise financière et économique de 2008, on s’interroge sur les évolutions économiques structurelles et conjoncturelles qui ont conduit à cet état de fait, sans conclure avec précision sur l’influence respective des facteurs énoncés.

Alors que nous affrontons la première crise pandémique majeure de notre génération, nous voyons ces tendances s’accélérer. Le poids croissant de la dépense – et de la dette – publiques, le vieillissement de la population, font craindre un ralentissement supplémentaire de la croissance potentielle encore minorée et du maintien durable de taux d’intérêt réels en territoire négatifs. Les taux bas durables incitent à la recherche d’actifs plus rémunérateurs et créent une distorsion dans les valorisations d’autres actifs.

Cette situation pèse sur le comportement des ménages, alors qu’arrivent en masse les cohortes de générations post-baby-boomers en situation d’épargner largement. Cependant, les ménages continuent de privilégier une épargne courte, liquide, garantie et disponible à tout moment. La pandémie n’a fait que renforcer ces préférences. Il serait hasardeux de penser qu’il suffirait de « ponctionner » cette épargne pour relancer l’activité. La crainte des lendemains – tant du point du vue de la situation personnelle que de l’accroissement de la dette publique et donc de la fiscalité – incite les ménages à toujours plus de prudence et de parcimonie. Introduire de l’incertitude sur leur épargne ne fera que renforcer les comportements de fuite.

En France, la double préoccupation d’aider les citoyens à se constituer une retraite complémentaire au système universel par répartition et de structurer une gamme de produit permettant d’attirer des investissements privés vers le financement de l’activité, a conduit à la formulation du cadre de la loi PACTE et du Plan d’Epagne Retraite. L’intérêt suscité dès son lancement par ce nouveau support d’épargne, laisse augurer d’un renforcement de cette épargne organisée autour d’un horizon de placement de plus long terme.

Achevé de rédiger Janvier 2021

Valérie Plagnol – Pauline Bouisset – Balthazar Vatimbella


[1] Ce document a été rédigé avec la collaboration des Etudiants en Master Analyse et Politique Economique de PSE, Pauline Bouisset et Balthazar Vatimbella.

[2] « Croissance économique et pouvoir d’achat des ménages en France : les principales évolutions depuis 1960 », Blanchet,D. & Lenseigne,F., Economie et Statistique, 2019

[3]« Comprendre le ralentissement de la productivité en France », Note d’analyse, France Stratégie, 2016

[4] Notons que la question de la productivité globale des facteurs liée à l’amélioration des technologies n’est ni nouvelle ni résolue, certains s’interrogeant sur la capacité à appréhender et mesurer l’impact des nouvelles technologies sur la productivité. Ainsi l’économiste, prix Nobel Robert Solow affirmait déjà en 1987 : « Je vois des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques de productivité ».

[5] “To be more specific, I will argue that over the past decade a combination of diverse forces has created a significant increase in the global supply of saving–a global saving glut–which helps to explain both the increase in the U.S. current account deficit and the relatively low level of long-term real interest rates in the world today.”, The Global Saving Glut and the U.S Current Account Deficit, https://www.federalreserve.gov/boarddocs/speeches/2005/200503102/  

[6] Branko Milanović, « Global Inequality : A New Approach for the Age of Globalization”

[7] « Secular drivers of the global real interest rate”, Rachel L., Smith T., 2015 ,Bank Of England Working Paper No. 571, https://www.bankofengland.co.uk/working-paper/2015/secular-drivers-of-the-global-real-interest-rate#:~:text=By%20Lukasz%20Rachel%20and%20Thomas,real%20rate%20may%20have%20fallen.

[8] Ando, A., Modigliani,F. (1963) The « Life Cycle » Hypothesis of Saving: Aggregate Implications and Tests, The American Economic Review, Vol. 53, No. 1, Part 1 ,pp. 55-84.

[9] “Activité des seniors et politiques d’emploi », DARES, Octobre 2020

[10] Insee référence, Tableau de l’économie française, ed 2020 – Population, file:///C:/Users/plagnol/Downloads/TEF2020_032.pdf

[11] Robert Mundell, « Capital Mobility and Stabilization Policy under Fixed and Flexible Exchange Rates », The Canadian Journal of Economics and Political Science / Revue Canadienne d’Economie et de Science Politique, Vol 29, n°4 (nov 1963) p 475-485 https://www.jstor.org/stable/139336?origin=crossref&seq=1

[12] PEPP, Pandemic Emergency Purchase Progamme

[13] Voir Yardeni, « Central Banks Monthly Balance Sheets » https://www.yardeni.com/pub/peacockfedecbassets.pdf

[14] Note de conjoncture de l’Insee, 15 décembre 2020, p.34

[15]« Etude annuelle sur les attitudes et opinions des épargnants à l’égard des produits financiers », 2020, AMF https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/publications/rapports-etudes-et-analyses/barometre-amf-de-lepargne-et-de-linvestissement-2020

[16] Cercle des épargnants, Ipsos. (2020). BAROMÈTRE DU CERCLE DES EPARGNANTS 2020. https://www.cercledesepargnants.com/sondage-2020-les-francais-lepargne-et-la-retraite/

[17] Données de la Caisse des Dépôts et Consignations, « Collecte mensuelle en novembre 2020 sur le Livret A et le LDSS ». En nombre 2020, l’encours du Livret A s’élevait à 325,8 milliards d’euros.

[18] Source : FFA

[19] Ditto FFA

[20]  « Dynamiques de consommation dans la crise : les enseignements en temps réel des données bancaires », CAE, Octobre 2020, https://www.cae-eco.fr/dynamiques-de-consommation-dans-la-crise-les-enseignements-en-temps-reel-des-donnees-bancaires

[21] « Comportement des investisseurs particuliers pendant la crise Covid-19 », AMF, Avril 2 https://www.amf-france.org/sites/default/files/2020-04/investisseurs_particuliers_actions_mars_2020.pdf

[22] « How different generations think about investing » Jeff Desjardins, 15 juillet 2019, Visual capitalist https://www.visualcapitalist.com/how-different-generations-think-about-investing/

[23] Données pour fin novembre 2020, Fédération Française de l’assurance https://www.ffa-assurance.fr/etudes-et-chiffres-cles/assurance-ccccccccvie-collecte-nette-negative-en-novembre-2020

M