La réforme des retraites était en cours lorsque le coronavirus est arrivé. Quelles incidences sur la réforme de la retraite ?
Les deux professions les plus pénalisées par la réforme des retraites, c’étaient le milieu hospitalier et les enseignants, avec un calcul sur leur carrière et non les 6 derniers mois, il s’agit des deux corps de fonctionnaires qui n’ont presque pas de primes, donc ils allaient être les perdants de la réforme. Alors qui peut imaginer que l’on va faire une réforme des retraites, à la sortie du confinement, sur le dos des personnels hospitaliers et des enseignants ? Ils ont été tellement sur le pont pendant cette crise du coronavirus. La réforme des retraites, elle n’aura pas lieu, pas sous ce quinquennat! Dans ces principes même, la réforme des retraites et morte. Alors on la repensera plus tard, sous une forme différente : la réforme qui sera faite ne devra porter que sur les nouveaux entrants.
Le problème est que l’on ne sait pas faire une transition de régime de retraite, c‘est très compliqué. Quand il y a une transition, il y a beaucoup trop de perdants et de gagnants, c’est difficile à gérer et il y a des besoins de financement transitoires. C’est ce que montre la réforme Agirc-Arrco : comme les retraites ont été plaonnées à 120 000 euros par an, il fallait continuer à payer des pensions aux retraités de l’Agirc-Arrco, aux personnes qui allaient prendre leurs retraites, mais sans avoir les cotisations qui allaient avec.
On ne sait pas gérer un changement de ce type. Sauf à dire que cela ne concerne que les jeunes qui entrent sur le marché du travail. Personne ne change de régime de retraite en cours de vie, c’est impossible, il y a trop de perdants. Dans quelques années une proposition qui ne toucherait que les entrants est toutefois possible, elle mettrait 40 ans à se mettre en route. Les gagnants n’ont pas envie de rendre leurs gains et les perdants n’ont pas envie de perdre, on ne sait donc pas passer d’un ancien régime à un nouveau.
Les Suédois (voir le numéro précédent de la Newsletter du Cercle des Epargnants) ont certes fait une réforme d’un système à points mais elle partait d’un système unique antérieur, ils n’avaient pas de problème redistributif. Notre problème, en France, est que notre régime est composé de 38 systèmes différents avec des générosités très variables donc, quand on harmonise, cela crée des perdants, c’est un véritable défi. Nous, en France, si l’on veut faire transiter une partie de la population de la répartition vers la capitalisation, pour les cadres, on a est face à un problème de financement de la répartition dans cette période de transition précisément, puisqu’une grande partie ne cotise plus. Cet aspect n’a pas été suffisamment réfléchi par le gouvernement.
La pandémie a une onde de choc terrible au plan économique, quelle politique économique envisager en 2020 ?
La situation est plus solide qu’il n’y paraît, il faut raison garder et arrêter de parler de problème de dette publique. Le principe, qui est vrai en France et aussi en Europe, réside dans l’idée que l’Etat prend à sa charge la totalité de la perte de PIB. Comme le principe de précaution a été suivi à la lettre, aujourd’hui, il y a 10 M de Français en chômage partiel et 3 Millions en arrêt maladie donc 1 Français sur 2 ne travaille pas, c’est bien plus que dans les autres pays. Puisque les patrons sont responsables de la santé de leurs employés, le risque légal incite beaucoup de gens à rester chez eux. Plus de 80% des entreprises du bâtiment ne travaillent pas. Cela nous coûte plus qu’ailleurs.
L’augmentation du déficit public est à peu près la perte du PIB. Bien que le PIB baisse de 35%, on fait en sorte que les ménages et les entreprises ne perdent pas de revenus. La perte de revenus est compensée par l’Etat.
C’est vrai au niveau macro-économique. Au niveau micro-économique, des acteurs, des petites entreprises, des intérimaires, sont en difficulté, il y a des trous dans la raquette. Toutefois, l’Etat met des rustines dans ces cas-là et essaie de prendre en charge toutes les pertes de revenus liées au fait que l’on ne produit pas. Pour cela, on met en place un gigantesque déficit public qui sera de plus de 10% du PIB. Cela a un double objectif totalement légitime : faire en sorte qu’il y ait le moins de faillites possibles et qu’il y ait le moins de pertes de revenus possibles du côté des ménages afin de sauvegarder la capacité à consommer.
Aux Etats-Unis, on protège les entreprises mais pas les salariés. Ceci provoque une hausse du chômage et les salariés américains arrêtent de rembourser leurs prêts, ce qui déclenche une crise bancaire, ce que nous ne voyons pas, heureusement, en France. Il y a 22 millions de chômeurs aux Etats-Unis et, en plus, il y en a qui ne sont pas inscrits au chômage, cela fait beaucoup de monde. L’organisation européenne, en ce sens, est bien supérieure à l’organisation américaine.
En termes de financement, cela ne pose donc pas de problème. Puisque les gens ne peuvent pas consommer, ils accumulent une gigantesque épargne et cette épargne forcée, l’Etat peut l’emprunter pour financer les déficits publics. Il n’y a pas de problème de financement. En plus, la banque centrale intervient donc on est sûr qu’il n’y a pas de problème de financement.
Après, lorsque l’on sortira du confinement, qu’est ce qui peut aboutir à ce que l’économie reste déprimée ?
Trois facteurs importent : la dette publique, la dette des entreprises, les consommateurs. Revenons sur ces différents aspects !
La dette de l’Etat va être facialement très élevée, l’Etat annonce 115% du PIB mais, attention, ce n’est que facial. Toute cette dette supplémentaire est achetée par la Banque de France pour le compte de la BCE. L’Etat paie le chômage partiel. Pour ce faire, il émet des obligations, des OAT qui sont immédiatement achetées par la Banque de France qui appartient à l’Etat Français donc elle remet immédiatement ses profits à l’Etat. Il n’y a donc pas de problème de dette publique ! Autrement dit, ces emprunts deviennent gratuits.
La Banque de France ne revendra pas ces obligations, elle les gardera dans son bilan, donc l’Etat français n’aura jamais à les rembourser, en réalité ces obligations sont donc annulées. Il n’y a pas de problème de dette publique. La seule dette qui compte, c‘est celle qu’il faut placer auprès des marchés financiers. Cette dette publique n’augmente pas puisque la Banque centrale achète tous les déficits publics qui sont faits en ce moment donc il n’y a pas de problème de dette publique. Il n’y a pas de coût supplémentaire et il n’y a donc pas de nécessité d’une politique économique restrictive. Pas besoin de hausse d’impôts !
Reste un problème d’excès de monnaie, avec des bulles spéculatives. Une fois que la crise sera passée, on risque d’avoir une crise immobilière. Aujourd’hui, tout le monde stocke de la monnaie mais que faire aujourd’hui ? Acheter des actions ? Les taux d’intérêt vont rester très bas, il y a pas mal d’aversion pour le risque. Je crains une très forte hausse des prix immobiliers après la crise. Investir dans le commercial ne parait pas une bonne idée : on va tous continuer sur la voie du télétravail, donc il y aura moins besoin de bureaux. Côté résidentiel, cela reste intéressant.
D’un point de vue tactique, on peut investir dans les banques, elles ont vu leur valeur baisser de 65%, cela ne correspond pas à leur valeur. L’immobilier, le private equity peuvent représenter des opportunités.
Les entreprises sont en train de s’endetter avec les prêts garantis par l’Etat, des émissions obligataires, des tirages de lignes, or elles n’auront pas très envie d’embaucher et d’investir donc in va créer des montagnes de zombies. C’est un problème pour le plan de relance. Comment faire pour que les entreprises réinvestissent, se remettent à embaucher après la crise ? D’un pays à l’autre, on voit des choses différentes. En France, je pense que le gouvernement va baisser les impôts de production qui bloquent l’investissement, il pourrait y avoir des exonérations de charges sur les créations d’emploi. Le risque est que le chômage ne monte pas maintenant mais après. Les jeunes qui entrent sur le marché du travail en septembre vont-ils être embauchés ? C’est une anticipation que l’on peut avoir.
Autre source d’inquiétude : la consommation. Les ménages vont-ils se remettre à consommer après le déconfinement. En Chine, on voit qu’ils sont très frileux sur les biens durables (voitures, gros équipements). En revanche, cela reprend sur l’habillement, les produits de beauté, le luxe mais cela ne repart pas très violemment.
L’heure pousse à la réflexion et c’est peut-être une magnifique opportunité de conjuguer la relance avec des ambitions liées au changement climatique. On peut faire des politiques économiques intelligentes si cela ne repart pas très vite et que l’Etat donne un coup de pouce. Certaines voix se sont faites entendre pour demander qu’on enlève les contraintes environnementales qui pèsent sur les entreprises. Aucun gouvernement ne le fera. Ce n’est pas la piste que je recommande.
Je pense au contraire qu’il ne faut pas prendre de mesure sur les entreprises, il faut plutôt aider les ménages à consommer en les guidant vers des biens qui ont du sens du point de vue de l’environnement : on peut imaginer des incitations fiscales sur des produits liés à la rénovation écologique, sur les voitures électriques, sur l’équipement informatique afin que tout le monde ait son ordinateur. Ce sont de vraies externalités environnementales, ceci pousse les entreprises et les particuliers dans le bon sens. Je plaide pour des mesures d’incitation dans le cadre d’une relance verte.
Comme la dette n’existe pas, l’Etat peut se le permettre. En plus, l’Europe va lancer une émission de l’ordre de 500 millions d’euros (montant à définir, le sujet étant évolutif au moment où nous enregistrons cette interview) sur ce type de projets de verdissement de l’économie. Sur un mode incitatif, on peut envisager une politique économique qui soutienne l’investissement durable.
Par ailleurs, il faut arrêter de demander de l’helicopter money car on le fait déjà, la banque centrale distribue directement de la monnaie à des catégories qui en ont besoin mais quand l’Etat paie le chômage partiel à des personnes qui ne peuvent plus aller travailler et que les OAT sont achetée par la Banque de France, on est bien dans une situation d’helicopter money. Il y a des terminologies qui deviennent des modes mais il nous faut nous concentrer sur les véritables besoins du moment.
Autre idée reçue : il ne faut pas croire que les actions faites en ce moment sont inflationnistes. Depuis 30 ans, il n’y a pas de lien entre la quantité de monnaie et l’inflation, il n’est qu’à voir la situation du Japon. Cela fait 25 ans que le bilan de la Banque du Japon est 4 fois plus gros que celui de la BCE et l’inflation y est négative.
Je reste optimiste si les bonnes politiques économiques sont mises en place.
Les dernières publications de Patrick Artus (Livres) :
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