Né en 1957, Didier Blanchet a débuté sa carrière en tant que chercheur à l’Institut national des études démographiques (INED). Il travaille à l’Insee depuis 1993, actuellement comme directeur des études et synthèses économiques. Membre du Conseil d’orientation des retraites (COR), de 2001 à 2014, il a également été membre de la Commission pour l’avenir des retraites qui a préparé la réforme de 2014. Membre du Comité de suivi des retraites (CSR) depuis sa création en 2014, il en est devenu président en juin 2019. Ses travaux de recherche portent sur l’économie des retraites et du vieillissement, le marché du travail, les méthodes de micro simulation appliquées à l’évaluation des politiques publiques et la mesure du développement durable.
Le Cercle des Epargnants (Jean-François Estienne) :
« A plusieurs reprises, le CSR a indiqué, et même regretté, la sensibilité des projections de l’équilibre des retraites dans l’avenir aux hypothèses de croissance de la productivité. Vous avez également, comme chercheur, publié à ce sujet. Comment pouvez-vous résumer cette problématique pour nos lecteurs et en quelques mots, que suggérez-vous pour réduire ce biais ? ».
Didier Blanchet, Président du Comité de suivi des retraites (CSR) :
« A l’origine, nous avions un système de retraite dont les projections n’étaient pas très sensibles aux hypothèses de croissance économique parce que tout était indexé sur les salaires. Donc, si les salaires augmentaient vite, les retraites augmentaient vite aussi et vice-versa. On avait un couplage entre les deux. Ce système nous amenait à un niveau de dépenses de retraites ramené au PIB de 19% à 20% à l’horizon 2040, ce qui a été considéré comme non envisageable. On a cherché à limiter cette progression par, d’une part le décalage de l’âge de la retraite, et d’autre part un certain niveau de décrochement des retraites par rapport aux salaires, ce dernier étant obtenu en passant de l’indexation sur les salaires à l’indexation sur les prix. On voit bien comment cela a pu créer de la dépendance à la croissance. S’il n’y a aucune croissance des salaires réels, l’indexation sur les salaires et sur les prix sont équivalentes, donc on retombe sur la problématique de départ. En revanche, si les salaires sont vraiment dynamiques, en indexant les retraites sur les prix, on tend à creuser l’écart entre l’évolution des salaires et celle des retraites. Le degré auquel on arrive à restaurer l’équilibre financier du système dépend ainsi d’une croissance qui est très incertaine et, par ricochet, cela affecte la crédibilité des projections : on prévoit un taux de croissance puis on constate qu’on est toujours un petit peu en-dessous de ce qu’on attendait et les projections financières sont donc à revoir. Cela donne l’impression qu’on court sans arrêt vers la restauration de l’équilibre. De plus, le paradoxe est que ce mode d’indexation des droits conduit à des dépenses d’autant plus élevées en part de PIB que la croissance est lente, alors même que c’est dans ce cas que la marge de manœuvre financière est la plus faible. Pour éviter tous ces problèmes, il faut rechercher un système qui, par défaut, puisse donner la même trajectoire de niveau de vie relatif des retraités quelle que soit la croissance économique. Il existe un gâteau qui s’accroît, plus ou moins vite – on espère qu’il ne décroîtra pas- et l’idée est que la façon de le partager entre actifs et retraités soit la même quel que soit son rythme de croissance. On ne peut évidemment pas garantir aux retraités une évolution des retraites similaire à celle du niveau de vie des actifs. Un décrochement est inévitable si on ne veut pas augmenter encore plus l’âge de la retraite ni laisser croitre encore davantage la part des pensions dans le PIB. Mais l’idée est que ce décrochement rendu nécessaire par les évolutions démographiques ait la même ampleur quelle que soit la croissance économique. En gros, au lieu de gérer ce décrochement via l’indexation sur les prix et de le faire dépendre des aléas de la croissance, le gérer par une politique explicite de taux de remplacement ou de pouvoir d’achat relatif des retraités. La façon concrète de le faire est d’avoir des retraites indexées sur les salaires, mais modulo un correcteur correspondant à l’évolution du ratio retraités/actifs et, éventuellement, ce qu’on jugerait acceptable comme nouvelle hausse du taux d’effort. C’est ni plus ni moins que la mise en œuvre de la contrainte d’équilibre d’un système par répartition, le fait que, à taux de cotisation donné, la masse des retraites ne peut pas évoluer plus vite que la masse des salaires».
Le Cercle des Epargnants :
Lors du processus de consultation précédant la rédaction du rapport Delevoye, le CSR a-t-il été consulté ? Si oui, pouvez-vous dans les grandes lignes énoncer les points que vous avez suggérés ? Dans le cas contraire, comme un nouveau cycle de consultation sera bientôt mis en place, quels voies d’amélioration voudriez-vous suggérer ?
Didier Blanchet :
« En l’état, le rôle du CSR est d’émettre un avis annuel et indépendant sur les perspectives du système existant, il a été conçu pour contribuer à un pilotage paramétrique. Il était donc normal qu’il n’ait pas été formellement impliqué dans la préparation du projet de réformes structurel. Mais ses avis antérieurs avaient fait passer des messages à la fois sur la nécessité de rendre la trajectoire du système moins dépendante de la croissance et la nécessité d’améliorer sa lisibilité pour les assurés. Ces idées ont été naturellement reprises dans le projet de réforme structurelle. La demande de lisibilité est quelque chose qui ressort également du jury citoyen que la loi de 2014 a associé au CSR – cf. notre article du 31/07/2019). La consultation qui a été mise en place pour la préparation du rapport Delevoye a été d’une toute autre ampleur, mais l’idée de recueillir l’avis des citoyens sur l’état et les perspectives de retraite avait déjà été prise en compte lors de la création du CSR».
Le Cercle des Epargnants :
Les préconisations du Haut-Commissaire Jean-Paul Delevoye envisagent un regroupement de plusieurs organismes, notamment le COR (Conseil d’Orientation des Retraites – cf. notre article du 15/07/2019) et le CSR. Le CSR utilise déjà les hypothèses et résultats du COR comme l’une des sources pour son travail de suivi. En ne prenant en compte que l’objectif de pertinence, il est possible de trouver des avantages tant au regroupement suggéré des entités qu’à conserver en l’état leur séparation et leur indépendance. Quel serait selon vous la meilleure formule, dans cet objectif de pertinence ?
Didier Blanchet :
« Ce que je peux dire est que la complémentarité actuelle entre le COR et le CSR fonctionne bien. Le COR a joué un rôle très important pour la constitution et l’émergence d’un consensus sur le diagnostic. Ce qui n’était pas le cas dans la situation initiale. C’est donc un grand acquis. Néanmoins, il est clair que le COR ne peut être une instance de proposition ou même d’alerte sur la nécessité de réviser les règles de calcul des droits. C’est dans cet esprit que le CSR a été mis en place, avec comme élément supplémentaire le fait de rendre un avis annuel ce qui permet d’entretenir la veille sur le sujet. Auparavant, on fonctionnait différemment : quand s’achevait une grosse réforme des retraites, le dossier était refermé et on n’en parlait plus pendant trois ou quatre ans, avant de constater la nécessité d’une nouvelle réforme. Dans le système actuel, le COR revoit ses projections tous les ans, et c’est sur ces projections actualisées que le CSR se prononce. On a donc une complémentarité qui fonctionne, mais on peut imaginer d’autres formes de coopération : le débat est ouvert. ».
N.B. :
En complément préalable à la présente interview exclusive, le site du Cercle des Epargnants a consacré au CSR son « feuilleton de l’été », intitulé : « Le peu connu Comité de suivi des retraites (CSR) et son rôle pour la pérennité du système des retraites en France ». Retrouvez ici les trois épisodes, intitulés respectivement :
Retrouvez les trois épisodes du feuilleton de l’été consacré au CSR :
Episode I/III : mise en place et premiers avis
Episode II/III : première recommandation et l’attente de la réforme
Episode III/III : prise en compte de la réforme