Les seniors, l’emploi et la retraite, c’est le titre d’un rapport1 publié la semaine dernière par France Stratégie, organisme d’études, de prospective et d’évaluation des politiques rattaché au Premier Ministre. Dans un pays où le niveau de chômage est relativement élevé, la question du travail et du chômage des seniors se pose avec une acuité particulière. Les reports successifs de l’âge de départ en retraite intervenus lors des dernières réformes, en allongeant mécaniquement la période d’activité des personnes, posent la question de l’emploi des seniors tant d’un point de vue qualitatif (aptitude au travail) que quantitatif et financier (prise en charge par les systèmes sociaux). C’est d’ailleurs l’un des objets et défis du rapport : « s’assurer que le recul de l’âge de la retraite n’aboutisse pas à des situations de chômage ou d’inactivité subie ». En effet, dans une telle situation, les réformes soulageraient le financement du système de retraite mais détérioraient par ricochet les dépenses sociales et d’assurance chômage. Ce qui ne réglerait pas le problème, mais le déplacerait.
La France est l’un des pays de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques où l’âge de départ en retraite est le plus précoce. Sous l’effet de la réforme des retraites de 2010, c’est-à-dire le report de l’âge légal de départ en retraite et le mécanisme de décote lié au taux plein, l’âge de départ à la retraite tend à reculer, il est aujourd’hui en moyenne de 61 ans et 10 mois. Il devrait selon les projections du Conseil d’Orientation des Retraites (COR) atteindre 64 ans à la fin de la décennie 2030. Le chômage structurel qui frappe le pays n’épargne pas les classes d’âges les plus élevées. Les statistiques tendent toutefois à démontrer que les seniors sont relativement moins touchés (6,5% chômage pour les 55-64 ans), qu’ils occupent des postes plus stables que les classes d’âges plus jeunes (les seniors en activité ont le plus fort taux de CDI de la population). En revanche, lorsqu’un senior perd un emploi il lui est plus difficile de retrouver une activité. Au total, l’emploi des seniors tend à progresser, ainsi le taux d’emploi des 55-64 ans est de 51% en 2017, il était de 30% seulement en 2000. Le chemin parcouru est donc remarquable. Pour autant, pour une approche plus réaliste, il faut scinder les résultats en deux catégories : avant et après 60 ans. Le taux d’activité des Français âgés de 55 à 59 ans est de 71,9%. Ce résultat est légèrement supérieur à la moyenne européenne (70,3%). Ce qui signifie que jusqu’à cet âge, le taux d’emploi des seniors est assez satisfaisant, même s’il reste loin des exemples allemands, danois, tchèques ou finlandais qui enregistrent des taux supérieurs à 80%. Dans ces pays l’âge de départ en retraite est plus éloigné, la culture du travail des seniors y est plus développée. A 60 ans, les proportions changent beaucoup. Selon le rapport, sur 10 Français de 60 ans, quatre sont en emploi, trois sont en retraite et trois sont au chômage ou inactifs. La part des personnes en situation de retraite est relativement élevée.
Très longtemps, l’âge de 60 ans est apparu comme un seuil fatidique, ce qui s’explique par la législation appliquée par le passé. Si les 55-59 ans sont majoritairement en activité. Le taux d’emploi des 60-64 ans est donc bien moindre. Ainsi, en 2017, le taux d’emploi des Français dont l’âge est compris entre 60 et 64 ans chute à 29,4%. Ce résultat est très éloigné de la moyenne européenne qui se situe à 42,5%. Que dire alors des résultats suédois (68%) ou norvégiens (66%) en la matière ? Il semblerait qu’il existe une corrélation assez forte entre ces résultats et les possibilités offertes de départ en retraite, la nécessité ou non de maintenir une activité (dispositifs de solidarité) et le taux de chômage structurel des pays.
Avec la modification de la législation, 62 ans apparaît désormais comme le nouveau seuil d’activité (âge légal) à dépasser, et même 64 ans à l’avenir si l’on prend en compte les systèmes de décote des pensions ainsi que les prévisions du COR. Les performances de pays voisins et comparables tels que l’Allemagne prouvent qu’il n’existe pas de fatalité en la matière. La hausse du taux d’emploi des personnes âgées de 65 à 74 ans (5% aujourd’hui) tend à démontrer que le maintien des seniors en activité, y compris à des âges jugés élevés est possible, lorsque les conditions de santé et l’activité le permettent.
Mais la société y est-elle prête ? Il reste beaucoup à mener pour lutter contre les stéréotypes négatifs liés à l’emploi des seniors (inadaptation aux nouvelles technologies, gap culturel et générationnel, moindre productivité etc.). La formation des seniors notamment aux nouvelles technologies n’est pas insurmontable. Elle doit concerner le public le plus large possible. La qualité de vie au travail, l’évolution des missions adaptées à la personne, sont autant d’objectifs à ne pas négliger. Tout doit être fait pour que la personne puisse prolonger son activité si elle souhaite, au-delà même des seuils théoriques.