Derrière les chaos et rebondissements de la politique, il est assez aisé de perdre de vue les tendances de l’économie et des marchés. Notre actualité semble toute entière suspendue aux soubresauts de la Présidence des Etats-Unis. Et de fait, l’activisme de l’Administration américaine ne sera pas sans effets sur l’économie mondiale. Aussi tenterons-nous d’évaluer l’impact à court et moyen terme de ses décisions. Le contexte économique global est également marqué par la normalisation des politiques monétaires des principales banques centrales. En France, la rentrée économique s’inscrit dans la double perspective de la présentation du projet de loi de finances pour 2019 et de la loi PACTE qui devrait entre autres, apporter des éclaircissements sur les modalités de réforme de l’épargne retraite.
1. Les chaos de la présidence Trump.
Difficile de faire le tri parmi les milliers de tweets présidentiels qui inondent les médias et contribuent trop souvent à agiter les marchés. La majorité de ces messages alimente la politique domestique autour de l’enquête sur les soupçons de collusion avec la Russie durant la campagne présidentielle. A quelques mois des élections de mi-mandat, le risque de voir la majorité de la Chambre des Représentants basculer dans le camp Démocrate, donne corps à l’hypothèse du lancement d’une procédure d’impeachment contre le Président Trump. Quelle qu’en soit l’issue – ces enquêtes sont longues et il faudrait un vote majoritaire dans les deux chambres, ce qui semble difficile à obtenir au Sénat – le Président Trump pourrait se trouver de plus en plus accaparé par ces affaires judiciaires. Après la baisse de la fiscalité, l’usage de sanctions commerciales semble bien tenir lieu de politique économique et diplomatique unique. Leur mise en œuvre sert alors plusieurs objectifs :
- protéger les industries du pays les plus menacées telles que celles de l’acier ou de l’aluminium ;
- contraindre les partenaires de l’ALENA[1] de renégocier les termes du partenariat de libre-échange qui les lie (le Mexique est-il en passe d’accepter un nouvel accord ?) ;
- contraindre la Chine à négocier un meilleur accès à son marché intérieur et restreindre les arrivées de produits chinois aux Etats-Unis ;
- sanctionner certains pays sur le plan diplomatique (retrait de l’accord avec l’Iran, pressions sur la Russie, demande de libération d’un citoyen américain détenu en Turquie).
Dans ce cadre, les alliés traditionnels des Etats-Unis ne sont pas épargnés (les sanctions sur l’acier ou l’aluminium, ou encore les menaces sur les importations d’automobiles, touchent directement l’Europe ou encore le Japon).
Jusqu’ici, les pays visés ont répondu par des mesures de rétorsion que l’on pourrait considérer comme graduées, sans que le canal des négociations ne soit pour autant totalement rompu. Elles provoquent des désordres déjà perceptibles sur les chaînes d’approvisionnement comme sur les prix (accumulations de stocks avant l’entrée en vigueur des droits de douane provoquant une envolée artificielle des prix de certains produits et matières premières ; baisse des cours de produits agricoles américains concernés par les restrictions d’importations ; annonces de délocalisation d’activités etc.).
Au-delà, l’unilatéralisme américain force les organisations et groupements de pays, de l’Organisation Mondiale du Commerce à l’Union Européenne, à revoir leurs lien et règles. Cela ne sera pas sans tiraillements internes.
L’impact macroéconomique de ces mesures reste néanmoins difficile à apprécier à court terme. Il serait de deux ordres :
- Sur la croissance. Ces 20 dernières années ont été marquées par un formidable essor des échanges autour d’une réorganisation des chaînes de valeurs mondiales. Mais la possible réorientation des circuits de productions et de livraisons peut conduire à ouvrir de nouveaux débouchés, favorisant telle région plutôt que telle autre ;
- sur l’inflation. En règle générale une hausse marquée des tarifs douaniers sur des produits non substituables – ou dont la production locale est insuffisante pour compenser la perte d’importations – entraîne une hausse des prix finaux concernés. Dans un contexte protégé et donc moins soumis à la concurrence, les entreprises ne peuvent que faire passer ces hausses dans leurs prix. Alors les tarifs douaniers ne sont ni plus ni moins que des taxes à la consommation. Mais l’ampleur de la transmission est difficile à quantifier à priori : certains pays exportateurs voient leur devise baisser et absorbent par la dévaluation une partie du choc de prix (ainsi le yuan chinois a perdu plus de 6% contre le dollar depuis le début de l’année). De même, toutes les entreprises ne peuvent pas répercuter les hausses subies dans leur intégralité et compriment leurs marges. Enfin, certains produits bloqués ici, se retrouvent disponibles en abondance ailleurs, et leur prix peut baisser.
Toujours première économie du monde, l’Amérique n’est pourtant plus seule. Elle dépend aussi de l’évolution de l’activité du reste de la planète, et notamment de l’Asie qui compte pour un peu plus de 40% du PIB mondial[2]. La Chine, sous la menace d’un conflit commercial dur, subit de plein fouet la défiance des marchés, qui s’interrogent par ailleurs sur la solidité de son économie fortement endettée. Si elle devait ralentir, ce qui semble être le cas, l’effet d’entraînement serait marqué sur la région et au-delà. La baisse récente des prix du cuivre pourrait signaler un ralentissement de ses besoins et donc de l’activité.
En l’état, les dirigeants chinois semblent vouloir maintenir une ligne de négociation avec les Etats-Unis, mais un accord significatif semble peu probable à court terme :
- Soit ils obtiendraient un accord à minima qui permettrait au Président Trump de chanter victoire avant les élections de novembre, sans pour autant modifier en profondeur la donne des échanges entre les deux pays.
- Soit ils se contenteront de gagner du temps en espérant trouver après les élections un Président affaibli et un Congrès plus accommodant.
2. La normalisation des politiques monétaires en cours devait également affecter la situation économique.
La « grande récession », ses avatars européens et émergents, ont bouleversé profondément les politiques monétaires des principales banques centrales du monde. Celles-ci (la Réserve Fédérale des Etats-Unis, la Banque du Japon, la Banque d’Angleterre, la Banque Centrale Européenne), ont adopté des politiques monétaires particulièrement agressives, en amenant leurs taux directeurs en territoire négatif pour certaines et en acquérant directement sur les marchés des titres obligataires essentiellement publics. Ces politiques dites ultra-accommodantes, sont en passe de résorption. La Réserve Fédérale des Etats-Unis est à l’avant-garde, puisqu’elle a déjà relevé ses taux directeurs depuis décembre 2015, pour les porter à 2%, tandis qu’elle a entrepris de réduire progressivement la taille de son bilan. La Banque d’Angleterre lui a emboîté le pas, et la Banque Centrale Européenne devrait faire de même prochainement. Le resserrement de la politique monétaire correspond à un moment du cycle économique où l’on touche au plein emploi, et où la poursuite d’une croissance à un rythme supérieur à son potentiel devrait entraîner des pressions inflationnistes. A ce stade, ces pressions sont loin de se manifester comme on pourrait s’y attendre en pareilles circonstances. Sans entrer dans le détail du débat, on peut dire que si la normalisation de la politique monétaire devrait bien se poursuivre, son rythme sera très progressif, et son ampleur plus limitée que lors des cycles précédents.
3. La rentrée économique française sous le signe du budget 2019 et de la loi PACTE.
La France a connu un net ralentissement de son activité en début d’année par rapport aux chiffres exceptionnels de la fin 2017 (+0,2% de croissance sur chacun des trimestres, après +0,7% fin 2017). Même un rebond attendu au deuxième semestre ne devrait pas permettre d’atteindre le rythme escompté de 2%, hypothèse qui sous-tend les estimations de recettes fiscales pour cette année. De même, le gouvernement revoit à la baisse ses hypothèses de croissance pour l’an prochain. Cet ajustement – qui induit un manque à gagner pour les recettes budgétaires – devrait être compensé par un surcroît de réductions de dépenses d’ores et déjà annoncé. Cet exercice semble d’autant plus important que 2019 est l’année de bascule du CICE vers la baisse des charges sociales des employeurs, ce qui doit entraîner des dépenses budgétaires supplémentaires. Les choix annoncés par le Premier ministre fin août, ne sont pas forcément définitifs. Mais ils participent d’une volonté plus clairement affichée de réduire les dépenses publiques de fonctionnement et de s’attaquer en plus à l’indexation des revenus. Non seulement délicate sur le plan politique, une telle politique sur le plan économique n’est pas de nature à relancer l’inflation. Ainsi, une hausse des prix du pétrole pèserait sur le pouvoir d’achat, alors qu’elle aurait entraîné une hausse concomitante des salaires et des revenus il y a quelques dizaines d’années.
Du point de vue de l’épargnant, la situation présente ne semble pas porteuse de relèvement des rendements obligataires et, partant, des taux de rémunération à long terme. Il ne semble donc pas d’actualité de voir encore – sauf crise majeure, mais qui là présenterait un risque d’un tout autre ordre – de hausse des rendements. N’oublions pas que le taux du Livret A, a également été bloqué au niveau actuel de 0,75% jusqu’en janvier 2020. A partir de cette date, un taux plancher de 0,5% est instauré. Il sera ensuite fixé suivant une formule prenant en compte la moyenne semestrielle des taux Eonia et du taux d’inflation. Si l’on retient l’inflation sous-jacente, on peut penser que le taux actuel du Livret A est à peu près conforme à ce calcul, ce qui veut dire qu’il est inférieur à l’inflation constatée, quant à elle, supérieure à 2% l’an.
Le gouvernement devait également présenter le projet de loi PACTE à l’automne pour une mise en œuvre dès l’an prochain. Le but central est de bien lancer la réforme des seuils pour les entreprises grâce à un allègement substantiel des contraintes administratives, notamment pour les entreprises de moins de 50 salariés. Il n’est pas exclu non plus que certaines privatisations soient comprises dans le projet. Enfin, du point de vue des épargnants, et comme nous l’avions évoqué au printemps, la loi PACTE devrait constituer une étape importante dans la perspective de la réforme des retraites et de l’épargne. Le gouvernement entend assouplir les règles de portabilité, de fongibilité et de souscription, afin de permettre aux épargnants de constituer une épargne complémentaire de long terme.
En conclusion, sous les chocs d’annonces et les chaos de la politique, se dessine une activité économique encore assez dynamique cette année, tant aux Etats-Unis qu’en Europe. Plusieurs économies émergentes ont été prises dans la tourmente économique et financière, leurs fragilités internes ayant été aggravées par les tensions venues notamment des Etats-Unis (pressions commerciales, hausse des taux directeurs de la Fed).
Alors que les marchés boursiers américains fêtent leur plus longue période de hausse sans repli majeur (commencée en mars 2009), le leadership du pays est mis à mal par la conduite de sa présidence. L’automne devrait accentuer l’impression de repli sur soi et d’attentisme avant les élections de mi-mandat. Les marchés, lassés de ces psychodrames, chercheront dans les indicateurs d’activité comme dans les politiques monétaires de quoi se rassurer sur les perspectives économiques. Sur ce plan, il ne fait pas de doute que l’activité marque le pas : ralentissement du commerce mondial, moindre dynamique générale, quelques craquements çà et là, tensions sur les dettes. C’est peut-être du côté de la Chine qu’il faudra suivre les développements d’une économie qui, tout en poursuivant sa mutation de moyen terme, traîne encore des secteurs très endettés et peu productifs qui la fragilisent.
[1] ALENA ou NAFTA, accord de libre-échange qui lie les Etats-Unis, le Canada et le Mexique depuis 1994.
[2] Selon les chiffres du FMI, statistiques de 2017.