Le Ministre de l’Économie et des Finances, a lancé la semaine dernière une consultation publique relative au plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE). Les propositions qui seront retenues à l’issue de cette consultation (le 5 février) serviront de base à un texte de loi qui, comme son nom l’indique, vise à stimuler le tissu économique français.
Le second chapitre de ce plan consacré au financement des entreprises nous intéresse tout particulièrement : son objectif est de « donner aux entreprises les moyens de se financer plus facilement » et plusieurs propositions visant l’épargne y sont formulées. Nous les analyserons et commenterons longuement lorsque le texte définitif sera présenté. Arrêtons-nous tout de même un instant sur l’esprit général de ce volet. Il est notamment question d’« orienter l’épargne des Français vers les entreprises ». L’idée fait son chemin, il s’agit d’une préoccupation récurrente formulée par les décideurs publics. L’épargne des Français, cette importante manne financière, manquerait de productivité, d’utilité. Qu’en est-il réellement ?
La Banque de France dans son bulletin de Novembre-décembre 2017 s’est justement posée la question de la finalité de cette épargne : « Où s’investit l’épargne des Français ? ». Premier point, l’épargne est abondante, mais elle bénéficierait « peu aux entreprises pour leur financement de long terme ». Pour rappel, le patrimoine des Français atteint 12.000 milliards d’euros brut, dont 55% est de l’immobilier. L’épargne financière représente « seulement » 38% des actifs des ménages, une part en recul par rapport à la fin de la décennie 1990 où elle représentait 47% (hausse des prix de l’immobilier et marchés financiers moins porteurs ont participé de ce basculement). Ce patrimoine financier qui représente 4765 milliards d’euros (fin 2016) est majoritairement constitué d’assurance-vie et de dépôts bancaires (40% et 30%). L’assurance-vie a vu au fil des années ses encours gonfler et son poids relatif est passé de 26% en 2000 à 40% en 2016. Les titres (de capital, d’organismes de placement collectif et de dette) représentent 30% de ce patrimoine. Les actions, détenues directement, représentent seulement 5% des placements (8% en 2000). La part de ménages actionnaires est ainsi passée de 16,3% en 2004 à 11,7% en 2015. Au final, l’immobilier est bien le grand gagnant de l’investissement des français, tandis que la part des investissements dans les entreprises n’a fait que baisser.
La France n’est toutefois pas une exception ! La critique formulée aux épargnants français pourrait être tout aussi bien adressée à nos voisins, nos comportements ne sont pas très éloignés. Dans les quatre plus grandes économies de la zone euro, moins de 15% des ménages détiennent des actions. Mais le calcul des ménages n’est pas pour autant irrationnel :
- L’aversion au risque joue un rôle prédominant dans le choix des actifs ; certains le jugent excessif.
- Des études montrent pourtant que sur la période 1988-2008, la rentabilité totale réelle (inflation déduite) des actions du CAC 40 est de 1,08% par an, contre 6,7% aux Etats-Unis. L’année 2008 est toutefois particulière, il s’agit d’une année de crise boursière. Si on observe la période 1991-2017, la performance est de 5,4%. Ce qui est plus important que les rendements offerts par les produits réglementés.
- Mais d’une manière générale, les coûts de détention et le poids de la fiscalité (sur les dividendes et la plus-value) ont pour effet immédiat de diminuer la rentabilité du placement et d’effrayer l’épargnant. L’instauration de la « Flat Tax» à 30% devrait résoudre en partie ce problème d’imposition « excessive ».
D’autres facteurs semblent pouvoir être mis en avant : selon les comparaisons internationales, la France a un niveau d’éducation financière jugé « moyen ». Selon un sondage IFOP de 2016, « 85% des Français n’ont pas bénéficié d’enseignements d’éducation budgétaire et financière, que ce soit à l’école ou à l’université ». Après l’éducation, le conseil est aussi mis en cause. Pendant de nombreuses années, un grand nombre de produits d’épargne offraient des rendements confortables et des garanties importantes. Dans ce contexte, on peut imaginer que les intermédiaires financiers ont satisfait la demande des épargnants en offrant des produits privilégiant le rendement sans risque et non la recherche de surperformance.
Mais à l’heure de la baisse généralisée des taux d’intérêt, des produits réglementés qui ne garantissent plus le capital (rendement inférieur à l’inflation), l’intérêt pour le placement en capital peut retrouver de son attrait, tout particulièrement au regard de la récente évolution de la fiscalité.
On le voit, la concomitance de la recherche de rendements et des changements de périmètres de fiscalité peuvent tout à fait attirer les épargnants vers le financement des entreprises. Mais la bonne réalisation de ce projet doit se faire avec le consentement et la parfaite information des épargnants. Ces derniers ne peuvent être hostiles au financement de notre économie, mais il faudra pour réussir ce redéploiement, les informer, les accompagner, pour que le projet ne suscite pas leur hostilité :
- les épargnants ne peuvent être tenus à l’écart de l’information sur le risque ;
- L’Etat se doit d’instaurer de la visibilité et de la stabilité dans la fiscalité et les conditions de souscription conformes aux attentes des épargnants, de produits d’épargne qui nécessitent souvent une détention longue.
Les propositions retenues ne pourront donc pas bouleverser un marché sensible aux annonces gouvernementales, sous peine de provoquer l’effet inverse à celui recherché, c’est-à-dire un mouvement de repli et de méfiance, au risque de voir enfler les encours de dépôts à vue et de Livret A.