L’Astuce

Le Livret A : bientôt 200 ans, une longévité usurpée ?

par | Déc 12, 2017 | Actualités

Créé le 22 mai 1818, le Livret A reste le produit d’épargne le plus connu et le plus populaire auprès des Français. Fin 2016, on estime que 83% des Français en possédaient un, soit 55,8 millions de livrets. A l’origine celui qui s’appelle alors le livret d’épargne est un produit imaginé pour financer les dettes issues des guerres napoléoniennes. Le produit aura par ailleurs une dimension éducative et contribuera à la bancarisation progressive du pays en initiant la population à la pratique de l’épargne à travers la tenue d’un compte.

Le placement préféré des Français comme le surnomment les médias depuis longtemps, n’a pas usurpé son titre : fin octobre 2017 son encours total s’élevait à 270 milliards d’euros, 372,9 milliards d’euros en intégrant le Livret de Développement Durable. Si l’année 2017 marque le renouveau de la popularité du produit avec 12 milliards de collecte sur les dix premiers mois, le Livret A a récemment traversé une période plus difficile où les Français ont douté de son intérêt. Ainsi en 2014 et 2015 le Livret A avait enregistré deux années de décollecte qui s’expliquent par la baisse de son taux de rémunération.

En effet, avec une inflation quasi nulle cette année-là, le 1er août 2015 le taux du Livret A franchit pour la première fois de son histoire la barre symbolique des 1% pour être fixé à 0,75%. Ceci s’explique par sa méthode de calcul, introduite quelques années auparavant par la Banque de France et basée en partie sur le niveau d’inflation. Pourtant, même à ce niveau, de par sa complète exonération fiscale, étant net de frais, il restait un placement largement compétitif. Attentifs au taux apparent, les épargnants français ne reviendront qu’en 2016, année de retour d’une collecte nette positive (à peu près un milliard d’euros sur l’année). Liquide, exonéré d’impôts, sans frais de gestion, avec un taux de rémunération positif, le Livret A présente de nombreux atouts qui apparaissent difficiles à égaler en cette période de baisse généralisée des rendements. Livret populaire à tout point de vue, il se caractérise néanmoins par un plafond assez bas (22 950 euros) et à la détention d’un seul compte par personne physique (ce qui en fait aussi un cadeau idéal pour les enfants).

On est loin de la « rente à 3% » du XIXème siècle certes, mais dans un contexte généralisé de chute des taux d’intérêt (et même de taux nominaux négatifs à certains moments), l’attachement des Français pour ce support d’investissement peut se comprendre. Il en résulte et nous l’avons déjà souligné un afflux d’épargne liquide qui pèse même sur le bilan des banques et des organismes de collecte du Livret. Car même à ce taux, le livret A est devenu un véhicule d’emprunt bien moins intéressant qu’auparavant. En effet, les investisseurs – essentiellement publics et sociaux – qui ont accès à ces liquidités peuvent aujourd’hui emprunter via d’autres sources à moindre coût.

C’est dans ce contexte que le 27 novembre dernier le ministre de l’Économie et des Finances a signé un arrêté (publié au journal officiel le 2 décembre 2017) dont l’objet est la « stabilisation temporaire du taux du Livret A ». Exit donc les révisions biannuelles connues par le passé, le taux du Livret A est désormais fixé à 0,75% jusqu’au 31 janvier 2020. Il s’agit d’une petite révolution, qui impacte par la même occasion les produits qui en dépendent tels que le livret d’épargne populaire ou encore le livret de développement durable. Cette décision intervient dans un contexte de reprise modérée de l’inflation, puisque les estimations sont de l’ordre de 1,2% ou 1,3% sur un an pour la France jusqu’en 2020.

Est-on revenu aux temps de l’inflation galopante où les taux nominaux affichés des années 80 (8,5% en 1981) faisaient rêver mais étaient bien loin de protéger de l’inflation (13% l’an) ? Sans être aussi brutale dans ses effets, cette décision reflète l’arbitrage actuel entre le coût du crédit et celui des dépôts (la Banque Centrale Européenne pratique un taux de dépôt négatif à -0,4%) et la volonté d’inciter les épargnants à placer leur épargne sur d’autre véhicules d’investissement. Vous l’aurez compris la liquidité et la sécurité ont un prix qu’il faudra désormais payer. Cela pourrait bien avoir des conséquences sur la stratégie d’épargne des français dans les années qui viennent. La recherche de rendement passera par moins de liquidité et un peu plus de risque qu’il faudra savoir mesurer. Mais adapter, choisir et diversifier son épargne en fonction de ses objectifs de plus ou moins long terme semble une stratégie personnelle plutôt raisonnable.

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