L’Astuce

Liquéfaction et transfert intergénérationnel du patrimoine

par | Juil 25, 2017 | Actualités

Mercredi 12 juillet, la Chaire Transition Démographique Transition Economique (TDTE) a tenu son colloque annuel consacré au vieillissement et à la croissance : « Le défi du XXIème   siècle ». Depuis 2008, sous la houlette de l’économiste Jean-Hervé Lorenzi, la Chaire cherche « à évaluer et analyser les impacts du choc démographique » en cours. Sa mission s’étend jusqu’à la formulation de « propositions d’actions afin de donner une nouvelle vie à un contrat générationnel ». Le Cercle des Epargnants était présent à cet évènement qui réunissait chercheurs français et internationaux. Une proposition présentée à cette occasion a retenu notre attention : la « location transmission ».

Près de 6 Français sur 10 sont propriétaires de leur résidence principale, cette résidence représente même pour le plus grand nombre la quasi-totalité de leur patrimoine. Assez logiquement, en raison du cycle de vie, les séniors détiennent plus de 60% du patrimoine immobilier. Avec la hausse des prix immobiliers ces dernières décennies, les séniors ont vu leur patrimoine s’apprécier. Certes de fortes différences sont apparues en fonction des situations géographiques : zones rurales ou urbaines, mais la tendance est générale. Toutefois, si le patrimoine des séniors est relativement important, il est bien souvent décorrélé de leur niveau de ressources.

La Chaire fait deux constats :

Premièrement, la problématique de la pérennité financière de nos systèmes de santé et de retraite pose à terme la question d’un possible reste à charge plus important, d’une diminution des pensions de retraites, c’est-à-dire dans les deux cas d’une baisse du niveau de revenu disponible. Pour illustrer le phénomène, concernant le seul cas de la dépendance, la Chaire avance le chiffre d’un reste à charge de 18% du revenu disponible en 2060, contre 9% aujourd’hui. Dans ces conditions, le patrimoine pourrait jouer un rôle dans le maintien du pouvoir d’achat. C’est le premier constat réalisé. Le développement des nouveaux modes de consommation, une évolution des pratiques (par exemple les plates-formes locatives) permettent de valoriser le patrimoine immobilier, le phénomène, qui est encore relativement marginal, ne suffira probablement pas à assurer les besoins grandissant de financement de notre protection sociale.

Le second constat est celui de la « non productivité » de ce patrimoine immobilier important. La France est un pays d’épargnants, peu enclins au risque, et privilégiant la transmission. A tel point que le débat sur l’utilisation et la contribution de cette épargne dans l’économie « réelle » est régulièrement ouvert. Dans notre enquête annuelle, les Français déclarent épargner tout d’abord dans le but de se constituer une épargne de précaution (41%), puis en seconde position pour « aider les enfants/petits-enfants » (33%). Epargne et patrimoine ont donc vocation à être transmis. La Chaire estime que l’économie gagnerait à voir ce patrimoine, du moins en partie, être transmis précocement aux héritiers. Ces derniers, actifs, en ont à priori davantage besoin (acquisition résidence principale, création d’entreprise, etc…). Ils contribuent et stimulent l’économie de manière plus importante.

Dégager des ressources pour les séniors, stimuler l’activité économique, justifient le besoin de liquéfaction et/ou de transmission de ce patrimoine. Il existe aujourd’hui un produit qui permet de répondre en partie à la problématique : le viager. Il permet au propriétaire de jouir de son bien immobilier et de percevoir en plus un revenu qui lui permet de compenser un éventuel besoin de ressources. Pourtant, le viager représente seulement 4.000 à 5.000 ventes chaque année. Ce chiffre est relativement marginal rapporté au nombre de transactions immobilières, plus surprenant il est également faible rapporté au nombre de biens proposés à la vente en viager. Syndrome de Jeanne Calment[1] ? Le produit semble rebuter les investisseurs, ce qui peut s’expliquer par le risque supporté par l’acheteur, celui d’une espérance de vie imprévisible. De plus, si l’acquisition d’un bien immobilier par viager est réalisé par crédit, il devient d‘autant plus difficile à calibrer.

La Chaire a donc imaginé un nouveau concept : la « location transmission ». L’idée est la suivante : le propriétaire vend son bien à un investisseur institutionnel qui va ensuite lui louer (le propriétaire initial devient locataire de son logement). Le bien est vendu avec une décote comprise entre 17,5% et 25% en fonction de la zone (Paris, les agglomérations de province et zones rurales). Les décotes sont moins importantes que pour le viager, puisque le propriétaire initial va désormais payer un loyer. Lors de la vente, une partie de la somme totale pourra être libérée et transmise au profit des héritiers et favoriser ainsi la transmission. Le reste de la vente permet au propriétaire sénior, désormais locataire de son logement, de payer son loyer. Dans ce cas de figure, la liquéfaction du patrimoine immobilier permet la transmission précoce aux héritiers et la préservation d’un revenu pour continuer de financer son le logement.

Dans la mesure où l’intérêt de l’investissement immobilier réside d’une part dans la perspective d’une appréciation future du bien, et d’autre part dans la jouissance (occupation ou loyer) du bien, le dispositif répond bien à ces deux préoccupations. Il permet de bénéficier d’un loyer, et d’une éventuelle valorisation du bien dans le temps. Le dispositif devrait donc rassurer davantage l’investisseur et stimuler la demande. L’interrogation se situe de l’autre côté, c’est-à-dire de l’offre. Le dispositif pourrait être confronté à la crainte des ménages français de se voir « déposséder » de leur patrimoine. Autre point, de par les caractéristiques du marché immobilier, le dispositif devrait intéresser les investisseurs en zones denses et urbaines. A l’inverse, les zones rurales, davantage susceptibles de concentrer les populations aux niveaux de ressources plus faibles devraient susciter moins d’engouement.

Le vieillissement de la population va bouleverser notre modèle de protection sociale, et au-delà nos relations économiques, sociales et humaines. Il faudra innover, aménager ou repenser nos modèles pour transformer ces défis en autant d’opportunités. La question de cet important patrimoine, de son utilisation, de sa transmission, est aujourd’hui posée.

 

 

[1] Jeanne Calment, qui fut la doyenne de l’humanité est décédée en 1997 à 122 ans passés, après son notaire à qui elle avait vendu sa maison en viager en 1965.

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