Comme chaque année, le Conseil d’Orientation des Retraites (COR) a présenté son rapport intitulé : « Évolutions et perspectives des retraites en France ». Dans le cadre de ses missions, le COR réalise des projections sur l’avenir du système de retraite français à moyen et long terme (horizon 2070). A partir d’hypothèses démographiques, et économiques qui simulent différents niveaux de croissance de la productivité du travail (de 1,8% à 1%), et de chômage (à terme de 7% avec variations de 10% à 4,5%), ses experts déterminent un solde budgétaire.
D’ordinaire les résultats présentés par le COR suscitent peu de débats, tant il existe un relatif consensus sur la situation du système des retraites. Pourtant, les résultats annoncés cette année ont donné lieu à une séquence médiatique plus intense que par le passé. La raison tient presque exclusivement dans une phrase du rapport : « le système serait déficitaire jusqu’en 2040 dans tous les scénarios. ». En clair, peu importe les niveaux de croissance et taux de chômage – optimistes ou pessimistes – le système devrait demeurer déficitaire au moins jusqu’à horizon 2040.
On observe d’ordinaire dans les travaux du COR que les séries de projections se partagent autour d’un scénario central, avec des hypothèses hautes et basses, qui dégagent à moyen terme un équilibre ou un déficit. C’est pratique, car chaque observateur peut alors s’y retrouver. Le verre apparaît alors à moitié vide ou à moitié plein. Cette année cet équilibre est rompu. Pour appréhender la situation actuelle, il faut se souvenir que l’année dernière, le rapport annonçait que : « selon le scénario économique, le système de retraite pourrait dégager des excédents à partir du milieu des années 2020 ». Or aujourd’hui, même en retenant le scénario le plus optimiste, c’est-à-dire une croissance annuelle de 1,8%1, le retour à l’équilibre interviendrait seulement en 2040, soit 20 ans plus tard. Dans son scénario central (+1,5% par an des revenus d’activité et taux de chômage de 4,5%) le retour à l’équilibre financier était situé à horizon 2025. Dans le nouveau rapport, le scénario central table sur un retour à l’équilibre au « début des années 2050 », soit 25 années supplémentaires. Pire encore, ce niveau de croissance (+1,5%) ne garantit pas un équilibre permanent. Ce dernier est provisoire, puisqu’en fin de période (vers 2070) le solde serait de nouveau négatif.
Comment expliquer une telle amplitude dans les résultats d’une année sur l’autre ?
A cela plusieurs facteurs : il faut prendre en compte la modification des données démographiques suite à l’actualisation des travaux de l’INSEE2. Ainsi l’hypothèse retenue d’une diminution du solde migratoire annuel (+70.000 contre +100.000 auparavant) vient peser négativement sur la croissance de la population en âge de travailler et donc sur les ressources. De plus, la prise en compte de la hausse de l’espérance de vie, tout particulièrement des hommes, accroît les dépenses de pension. Et puis il est mentionné que « la population active est désormais moins dynamique que dans les précédentes projections (2011) ». Cela se traduit par une hypothèse de baisse du taux d’activité des 15 ans et plus, et donc des ressources.
Enfin, les hypothèses économiques retenues (court et moyen termes) ont été révisées à la baisse. L’année dernière, le COR se basait sur les prévisions économiques pluriannuelles du programme de stabilité. Ces dernières n’ayant pas été atteintes (année n-1), les projections pour les années futures ont également été corrigées à la baisse (pour 2018 et 2019 des moindres croissances respectivement de 0,25 point et 0,3 point). A très court terme, cela impacte négativement la croissance des ressources. Cela a aussi des conséquences à moyen terme, puisque la convergence ou « période de raccordement » vers les hypothèses de long terme est désormais plus longue (il en est de même pour les hypothèses de baisse du chômage).
Des données structurelles et conjoncturelles qui impactent négativement le solde financier du système.
Ces résultats trouvent d’autant plus d’écho que l’actualité avait quelque peu mis de côté la problématique du financement des retraites. La question n’a quasiment pas été abordée lors de la période de campagne présidentielle. Selon notre enquête annuelle, 65% des Français estimaient d’ailleurs que le « sujet n’est pas assez abordé dans la campagne ». En 2016, il flottait même un vent d’optimisme. Mi-juillet 2016 lors de la remise du rapport annuel du Comité de Suivi des Retraites (CSR), le Premier Ministre saluait alors « le très net rétablissement de notre système de retraites » et parlait de « la voie d’un équilibre financier durable ». La Ministre des Affaires sociales lui emboitait le pas en évacuant l’idée d’une éventuelle réforme : « la question de l’âge du départ en retraite n’a plus aujourd’hui de raison d’être posée ».
Le nouveau Président a inscrit une réforme du système des retraites parmi les priorités du quinquennat. Cette dernière porte essentiellement sur la volonté d’apporter davantage de transparence, d’équité entre les individus, par la suppression de la distinction entre public et privé, et l’harmonisation des méthodes de calcul de la retraite. Si le projet comporte des mesures d’économies, il s’agit surtout d’économies de gestion issues de la fusion des caisses. En revanche, le programme présidentiel promettait un maintien de l’âge légal de départ à la retraite au niveau actuel. Au regard des dernières projections du COR, on peut se demander si cet engagement sera tenable.
Le présent rapport nous rappelle l’impérieuse nécessité d’assurer la pérennité financière de notre système de retraite. Nous verrons dans les prochains mois si la réforme voulue par le Président, centrée essentiellement sur la simplification, la transparence et l’équité, qui mésestimait le volet financier,3 intégrera des mesures (plus impopulaires) visant à corriger la trajectoire budgétaire de long terme.
1 Le COR retient désormais quatre hypothèses de croissance de la productivité du travail contre cinq par le passé. L’hypothèse d’une croissance de 2% n’est plus retenue.
2 https://www.cercledesepargnants.com/retraites-evolution-demographique-favorable/.
3 Programme des retraites d’Emmanuel Macron alors candidat : « Après plus de vingt ans de réformes successives, le problème des retraites n’est plus un problème financier. ».