La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) vient de consacrer son étude du mois de février à ce sujet. Déjà la Cour des Comptes au mois d’octobre, dans son rapport sur la sécurité sociale 2015, consacrait un chapitre aux pensions de réversion intitulé : « Les pensions de réversion : un rôle toujours majeur, une modernisation souhaitable ». Mais cela est alors passé assez inaperçu dans le brouhaha du marathon budgétaire. Or ce document n’était pas anodin.
La pension de réversion permet, sous conditions, à un conjoint ou ex-conjoint de percevoir une partie de retraite dont bénéficiait ou aurait pu bénéficier un salarié ou fonctionnaire décédé. 4,4 millions de Français, soit près du quart du nombre total des retraités touchent ainsi une pension de réversion. Ces Français sont pour un grand nombre – 90 % pour être précis – des Françaises. A cela trois raisons au moins. D’abord, les femmes ont une longévité supérieure à celle des hommes. Ensuite, les raisons culturelles notamment : elles ont acquis moins de droits à la retraite. Enfin, longtemps, elles n’ont pas ou peu exercé d’activité professionnelle rémunérée.
En 2014, le poids financier de ces pensions est conséquent : 34 milliards d’euros en 2014, soit 11,3 % des prestations des régimes d’assurance vieillesse et 1,6 % du PIB. La France occupe ainsi un niveau proche de la moyenne européenne. Pour des raisons culturelles, la part des pensions de réversion est faible dans les pays du Nord, où les femmes travaillent davantage, et plus élevée en Allemagne ou dans les pays du Sud, dans des sociétés dites plus traditionnelles.
La part relative de ces pensions de réversion a tendance à diminuer puisqu’en 1990 la pension de réversion représentait 16,5% des prestations et 1,8 % du PIB. Mais les projections réalisées par le COR tablent tout de même sur 47-49 milliards d’euros de pensions en 2040, soit 1,4% ou 1,5% de PIB et 10,6% des retraites, et 52 à 56 milliards en 2060. Nous allons même en connaître un pic, avec le veuvage des générations issues du baby-boom, avant une diminution progressive. De manière générale en effet, la baisse du nombre de mariages (condition d’attribution), la réduction de l’écart de l’espérance de vie entre hommes et femmes et l’emploi croissant des femmes (constitution de droits à la retraite) vont continuer à faire baisser le poids relatif de cette pension. Ainsi, au début des années 2010, 66% des femmes de la tranche d’âge 15-64 ans étaient professionnellement actives (75% des hommes), alors que ce pourcentage était de 50% dans les années 70.
Initialement réservée aux veuves de la fonction publique et du régime général lorsqu’elles n’avaient pas de droits, le dispositif a été sans cesse élargi entre le début des années 70 et la fin des années 90. Ces pensions procurent en moyenne un supplément de retraite de 645 euros par mois pour ceux qui ont des droits propres et 499 euros de revenu pour ceux qui sont sans pension. Dans la majorité des cas, elles représentent une part de revenu capitale pour les bénéficiaires. Ainsi, si ce dispositif est primordial pour un grand nombre de Français, son poids financier, à l’heure où toutes les économies sont bonnes à examiner, amène de nombreux spécialistes à observer de plus près son fonctionnement.
La Cour estime qu’il y a une très grande hétérogénéité des règles d’attribution selon les régimes et qu’« elles créent ainsi des disparités sensibles entre des veuf(ve)s placé(e)s dans des situations comparables ». Deux logiques principales y cohabitent en effet : une logique patrimoniale et une logique assurancielle. Dans la logique patrimoniale, les régimes ne conditionnent pas l’ouverture de droits à des conditions d’âge et de ressources. Dans la logique assurancielle, on s’attache davantage à assurer un maintien du niveau de vie du conjoint survivant. Si bien que, face à la perte de son conjoint, en fonction du régime de ce dernier, une personne peut se voir éligible ou non-éligible à la pension de réversion. Et lorsqu’elle est éligible, différents niveaux de pensions existent, en fonction du régime du défunt.
Pour bénéficier de la pension, il existe une multitude de règles, différentes entre les régimes. Si, dans la grande majorité des cas, existe une condition d’âge minimum qui se situe dans une fourchette comprise entre 50 et 65 ans, la fonction publique ne fixe pas d’âge seuil. Si le régime général n’exige pas de condition de mariage, la fonction publique demande elle 4 années de mariage. Le régime général fixe des conditions de ressources, ce qui n’est pas le cas dans la fonction publique ou dans les régimes complémentaires AGIRC-ARRCO. Enfin, le taux de réversion n’est pas unifié : il est situé en moyenne entre 50% et 60%, même si certaines cotisations facultatives dans quelques régimes complémentaires associées à la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse des Professions Libérales permettent d’aller jusqu’à 100%. Sur ce sujet, la Cour estime que « la diversité des taux applicables, selon les régimes, n’a pas de justification précise ».
Au final, difficile de s’y retrouver, et difficile surtout de justifier de telles différences de traitement. Si les régimes de retraite ont récemment évolué par des réformes successives, les pensions de réversion ont connu peu de modifications. Contrairement à nos voisins européens, puisque l’Allemagne en 1986 a introduit des conditions de ressources, puis en 2001 décidé de la baisse du taux de réversion. Et l’Italie a introduit en 1995 des conditions de ressources étendues aux revenus du patrimoine.
La Cour propose quelques pistes de réforme. Dans un premier temps l’introduction d’une condition d’âge dans tous les régimes – 55 ans celui du régime général – puis sur le modèle de la réforme des retraites de décaler de deux ans l’âge retenu (55 à 57 ans). L’introduction de critères de ressources est évoquée, dans les régimes de la fonction publique et des régimes spéciaux. Pour la nuptialité, la Cour conseil de retenir une logique de prorata de la durée du mariage sur celle de la durée d’assurance. Concernant l’harmonisation des taux de réversion, la cour propose de retenir le chiffre de 54%, celui du régime général
Nous savons que la question du financement de notre système de retraite (dans son ensemble) est posée. Il faudra demain sans doute le réformer, le moderniser et le simplifier. Parmi les sources d’économies possibles, vous l’aurez compris, le système des pensions de réversion apparaît désormais comme une cible potentielle. Autant le savoir, pour tenter d’en compenser les effets.
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