Si vous êtes un lecteur assidu du Cercle des Epargnants, vous aurez forcément entendu parler du Conseil d’Orientation des Retraites (COR). Il réalise des projections sur le système de retraite français à moyen et long terme (horizon 2060). Pour se faire, le COR établit des scénarios à partir d’hypothèses sur l’évolution des principaux déterminants du système, c’est-à-dire la démographie et l’économie. Si la projection démographique calculée à partir des travaux de l’INSEE appelle peu d’observations, les hypothèses économiques sont multiples et controversées. Pour rappel, dans son rapport présenté au mois de Juin, les hypothèses étaient les suivantes :
Hypothèses économiques retenues par le COR en Juin
Différents scénarios économiques – Taux de croissance des revenus d’activité par an – Taux de chômage
A’ 2% 4,50%
A 1,80% 4,50%
B 1,50% 4,50%
C 1,30% 7%
C’ 1% 7%
Sceptiques sur le taux de chômage, voilà ce que nous écrivions alors : « 4,5% ! 7% ! à la lecture de ces chiffres, difficile ne pas faire le parallèle avec le niveau de chômage actuel. Quand on sait que ce dernier est de 10,6% (ou 10,3% au sens du Bureau international du travail), qu’il faut remonter à 1978 pour voir un taux de chômage de 4% ». Nos observations sont toujours – hélas – d’actualité.
Pas plus rassurés sur les hypothèses de taux de croissance de la productivité, voilà ce que nous écrivions : « Quand on sait que sur les dernières années, la productivité horaire du travail a connu un ralentissement marqué dans tous les pays industrialisés, qu’elle est à la quasi-stagnation en France (0,2% en 2012), on peut douter là encore des taux retenus… Pour rappel, entre 1995 et 2012, c’est une croissance moyenne de la productivité de 1,2%, entre 2000 et 2012, c’est 0,9% (ce qui correspond au niveau des scénarios « pessimistes » du COR C et C’), et sur la période 2008-2014, les revenus d’activité bruts par tête n’augmentent pas : 0% ! »
Pour la défense du COR, bon nombre d’organismes internationaux révisent régulièrement leurs prévisions. Dans ses missions fixées par la loi le COR doit « élaborer, au moins tous les cinq ans, des projections de leur situation financière ». Si nous pouvons accorder une marge d’erreur, ou un délai d’actualisation, nous pouvons aussi nous interroger sur la divergence entre les niveaux de chômage retenus par le COR et la communauté internationale. Par exemple, l’Ageing Working Group (Union Européenne) et l’OCDE retiennent des niveaux de chômage de 7,5% et 8,5% quand le COR s’obstinait à retenir 4,5% ou 7%.
Ce n’est donc pas un hasard si les membres du Conseil se sont réunis la semaine dernière lors d’une réunion intitulée : « le cadre macroéconomique à long terme ». L’objectif était de débattre des hypothèses économiques (productivité et chômage) retenues. La première partie était consacrée à la méthodologie. La seconde a eu pour but de tester les conséquences d’une modification des paramètres sur le solde du système de retraite.
Cette séance marque en fait un renouveau dans la vision du COR. Le « plein emploi » et les 4,5 % de chômage ne seront plus la norme. Les experts ont ainsi « construit des scénarios extrapolés croisant tous les taux de chômage compris entre 4,5 % et 10 % à long terme (avec un pas de 0,5 point entre chaque scénario) et tous les taux annuels de croissance du salaire moyen par tête (SMPT) compris à long terme entre 1 % et 2 % par an (avec un pas de 0,1 point) ». Le COR ne se « mouille pas », il entend désormais couvrir un niveau de chômage plus large. Il testera ainsi, désormais, des niveaux plus proches de la réalité (actuelle).
Quels sont les enseignements de ces travaux ?
Le chômage : il faut retenir qu’un point de chômage supplémentaire, c’est un impact de -0,1 point de PIB sur le solde financier du système des retraites. Cela correspond à une hausse de 3 mois de l’âge effectif moyen de départ à la retraite. Quand on sait que les Français sont deuxièmes dans le monde en ce qui concerne leur désir de départ précoce en retraite, ce n’est pas rien ! (Cf. l’étude HSBC présentée la semaine dernière : « 77 % des actifs de plus de 45 ans souhaiteraient partir à la retraite dans les 5 ans à venir s’ils le pouvaient »). En retenant un niveau de croissance de la productivité de 1,5 %, avec 10 % de chômage, le système est déficitaire de -0,1 % de PIB (en 2060). Avec 4,5 % de chômage, il est (était) excédentaire de + 0,3 % de PIB. Voilà qui explique peut-être la préférence pour le « plein emploi ».
La croissance de la productivité :
Une croissance supplémentaire de 0,1 point plus élevé améliore le solde financier de 0,15 à 0,25 point de PIB en 2040, de 0,3 à 0,4 point de PIB en 2060, et d’environ 0,15 à 0,2 point de PIB en moyenne sur la période 2015-2060.
La croissance reste donc la clé. Elle améliore sensiblement le solde du système : c’en est l’élément prépondérant. La croissance permet de créer des emplois, donc de diminuer le chômage. La croissance, 0,2% en 2014, 1,1% en 2015, et combien demain ? Selon l’INSEE, la croissance potentielle entre 2020 et 2030 se situe entre 0,7 % et 1,7 % par an. C’est dans cette amplitude que se situe tout le problème. Pour rappel, à législation inchangée et avec un chômage supérieur à 9,6 %, il faut un taux de croissance annuel des salaires de plus de 1,61 % par an entre 2015 et 2060 pour assurer l’équilibre financier du système.