La Banque de France nous a appris récemment que le taux d’Epargne des ménages français pour le premier trimestre de l’année 2015 était de 15,3%.
Qu’est-ce que le taux d’Epargne ? Comment est-il défini ?
Le taux d’épargne est le rapport entre l’épargne des ménages et le revenu disponible brut, il peut également être calculé en pourcentage de revenu disponible (méthode de calcul moins utilisée).
Historiquement, le taux d’épargne des ménages français est élevé, c’est une constante, une particularité française. Actuellement ce taux est le second plus important d’Europe derrière le taux allemand (plus de 16%). Il est plus important que celui de ses pays voisins, à titre d’exemple : le taux italien est de 11%, le taux espagnol de 10% et celui du Royaume-Uni de 6%. Il est supérieur à la moyenne européenne, et même à la moyenne des autres pays développés à économie de marché, mais là encore ceci est une constante, donc rien de nouveau.
Que nous apprend ce chiffre ?
Ce qui interpelle les observateurs, c’est que ce taux du premier trimestre 2015 est supérieur au taux de l’année 2014 ou du dernier trimestre 2014. Dans une période plus large, il faut savoir que ce taux ne cessait de baisser depuis 2009 (16,2%), d’année en année : 15,8%, 15,6%, 15,1% et 14,7% en 2013 pour remonter l’année dernière, 15,1% en 2014, et donc 15,3% en ce début d’année 2015. Ceci n’est pas spécialement une bonne nouvelle, certains pourraient penser que les ménages ont gagné plus, et ont pu épargner plus, ce n’est pas le cas (nous reviendrons longuement là-dessus).
Avec la crise de 2008 ce taux était passé de 15% à 16,2% en 2009. Les non-initiés diront que cette hausse n’est pas vertigineuse, c’est vrai, la structure de notre économie, le poids du public, amortit davantage la crise et ses effets que ne le fait un pays libéral, à titre de comparaison, au Royaume-Uni entre 2008 et 2009 ce taux était passé de 2,2% à 7% ! Au final, cette hausse était relativement importante, elle marquait surtout une dynamique, elle avait un sens.
Ce phénomène s’observe en miroir sur le taux d’épargne financière, c’est-à-dire sur la part du revenu disponible brut investie dans des actifs financiers. Nous observons exactement la même dynamique sur la période 2008-20014, de même le taux d’épargne financière remonte entre 2013 et 2014 de 5,3% à 6,1%, le taux d’investissement en logement passe lui de 9% à 8,6%.
Traditionnellement, nous observons que plus la situation économique se dégrade plus l’individu aura tendance à épargner, pour se protéger, anticipant des difficultés à venir. Pour les économistes : équivalence ricardienne, c’est le fait que le taux d’épargne augmente avec le déficit budgétaire, autrement dit la dette publique. Les ménages se disent en effet qu’il faudra un jour payer la dette, si la croissance n’est pas là. Donc ils épargnent aujourd’hui pour payer demain.
Et nous savons, notamment à la lecture des récents travaux de la Banque de France et de sa direction de la conjoncture et des prévisions macroéconomiques, que « le ralentissement du revenu des ménages et la hausse du taux de chômage expliquent partiellement la faiblesse de la consommation observée pendant la grande récession ». Durant cette crise comme dans chaque crise il faut prendre en compte le caractère psychologique pour certains, ou rationnel pour d’autres qu’est la confiance des ménages. Il faut ajouter un fait nouveau : le changement de composition du revenu. Il est évident qu’une personne ne se projette pas de la même façon lorsqu’elle a un CDI ou un CDD, lorsqu’elle travaille en intérim, lorsqu’elle cumule plusieurs emplois, voire lorsqu’elle combine activité partielle et complément d’allocation d’aide de retour à l’emploi, etc… L’époque où une personne entrait dans une entreprise pour en sortir au moment de sa retraite est révolue, nous avons bel et bien changé d’époque.
C’est ce que les travaux de la Banque de France nous expliquent : « la crise pourrait avoir conduit les ménages à modifier leurs anticipations de revenu permanent et entrainé une baisse de la consommation. » C’est donc bien cette « baisse du revenu permanent », autrement dit du revenu de long terme anticipé par les ménages qui explique une part de cette augmentation du taux d’épargne.
Le taux d’épargne financière suit la même trajectoire et décrit le même phénomène, à savoir, une augmentation en période de crise. L’individu va chercher une liquidité et une sécurité, il va placer son argent en épargne financière (non risquée, dans des Livrets lorsque les taux étaient encore intéressants, dans un PEL ou une Assurance-vie aujourd’hui), et il évite ou retarde un investissement immobilier, l’avenir étant incertain, il refuse de s’engager, de se projeter.
Mais alors, pourquoi ce taux remonte-t-il aujourd’hui ?
Si nous pouvons comprendre et expliquer la mécanique et les comportements de la crise de 2008, comment expliquer que ce taux remonte entre 2013 et 2014 ? Et pourquoi continue-t-il de grimper ? La réponse est simple, le ressenti ! Le PIB acquis pour 2015 étant de 0,8%, supérieur à 2014, le taux d’épargne devrait diminuer, et bien non. Ce seul indicateur macroéconomique ne suffit pas à rassurer. Les ménages, sans être des économistes, savent que cette croissance n’est pas suffisante. Le ressenti de cette création de richesse de 0,8% est trop faible au quotidien, que ce soit chez les fonctionnaires où le pouvoir d’achat est gelé (gel du point d’indice), jusqu’aux classes moyennes supérieures (les cadres) qui supportent (seuls), une pression fiscale de plus en plus forte, les effets de cette croissance ne se font pas ressentir. A ces seuls facteurs économiques, s’ajoutent des facteurs psychologiques, par exemple la crise des migrants nous renvoie à la multiplication des conflits et l’instabilité actuelle. Des facteurs à mi-chemin entre le psychologique et l’économique tels que l’épisode récent de la crise grecque qui rappelle à chacun que la zone euro – autrement dit nous – ne sommes pas à l’abri d’une crise monétaire (d’une crise tout court !), la question du financement de nos retraites et les incertitudes qu’elle soulève, de la dette, etc…
La crise de 2008, même si elle a été en partie « amortie » par un Etat-providence, un joli nom pour la dette publique, a profondément marqué les esprits. Ses effets se font encore ressentir, c’est la confiance des ménages français qui a été ébranlée. Et au-delà, cette crise marque l’avènement d’un changement de paradigme qui déstabilise les ménages, les pouvoirs publics et les entrepreneurs. C’est un mode de vie profondément différent qui nous attend, une modification des sources de revenus nous l’avons vu, un avenir plus flou auxquels ménages et entrepreneurs devront faire face, de nouveaux défis.
Il faudra retrouver un niveau de création de richesse plus important, c’est indispensable, que cette richesse soit ressentie par le plus grand nombre, pour que les ménages soient soulagés, mais il faudra également accepter le changement, l’accompagner, pour faire partie des gagnants de ce que certains appellent déjà « l’uber-économie ». L’Etat de son côté doit anticiper et apporter une solution aux grands enjeux de demain que sont le paiement de la dette, le financement des retraites et de la dépendance (pour rassurer les ménages). Il doit se réformer, réaliser des économies pour réduire le niveau d’imposition des entreprises et des ménages, pour que les entreprises puissent investir, et les ménages regagner à court terme du pouvoir d’achat et à plus long terme des perspectives. Avec une dette publique qui cessera enfin de monter, pour refluer ensuite.