L’Astuce

La Commission européenne plus optimiste que la France ?

par | Sep 1, 2015 | Actualités

Le Gouvernement n’est pas le seul à se préoccuper de l’évolution du financement des retraites, la Commission européenne réalise également, depuis 2001, des « projections harmonisées des dépenses publiques liées au vieillissement et à la soutenabilité des finances publiques des pays membres ». Un travail mené sur plusieurs grands agrégats, notamment les retraites, l’invalidité, la santé, le chômage et la dépendance.
En ce qui concerne la France, ce sont la direction générale du Trésor et l’Insee qui ont réalisé l’étude pour 2015 sur la base d’hypothèses démographiques et macroéconomiques établies par Eurostat et un groupe de travail européen.
La principale information de cette étude est la suivante : la part des dépenses de retraites dans le Produit Intérieur Brut (PIB) devrait baisser entre 2013 et 2060 de -2,6 points de PIB, passant de 13,7% du PIB (soit 291 milliards) à 11,2% du PIB !
Cette évolution contrasterait avec celles de nos voisins, puisque l’Allemagne ou la Belgique devraient eux voir leurs dépenses augmenter. A terme, à horizon 2060, le poids des dépenses de pensions (retraite et invalidité) en France devrait même être inférieur à la moyenne européenne (zone euro), 12,1% contre 12,3%.
Les Français plus pessimistes que les Européens ?
Ce résultat diffère de celui obtenu par le conseil d’orientation des retraites (COR). Dans son scénario central, le scénario B (avec une croissance annuelle de la productivité de 1,5% et un taux de chômage de 4,5%), le COR sur la période 2013-2060 arrivait en effet à la conclusion d’une baisse des dépenses de retraite d’un niveau moindre, c’est-à-dire -1,3 point de PIB. On pouvait penser ces hypothèses « favorables ». Nous voilà donc dépassés en optimisme ?
Qu’est ce qui explique cette différence ?
Tout simplement les hypothèses démographiques et macroéconomiques retenues. Essentiellement une hypothèse démographique plus favorable pour nos finances et des gains de productivité semblables à long terme, mais un peu plus négatifs à court terme.
Pour la démographie, l’étude se base sur les projections d’Eurostat (Europop 2013) qui estime la population française à 76 millions d’individus en 2060, ce qui ferait de la France la première nation de la zone euro devant l’Allemagne (71 millions de personnes). Cette hausse de la population serait portée par une natalité supérieure à deux enfants par femme jusque 2030, ce qui est bien supérieur à la moyenne retenue des autres pays européens (1,6 en zone euro). L’hypothèse démographique retenue est donc différente de celle du COR qui se base sur les études de l’INSEE réalisées en 2010. Pour le COR, le vieillissement de la population serait en effet plus marqué puisque la natalité retenue était de 1,95 enfant par femme et l’espérance de vie plus longue. Une natalité plus forte, c’est dans l’avenir plus de personnes sur qui répartir le coût des pensions, une espérance de vie plus courte, c’est moins de dépenses. A elle seule, l’hypothèse démographique explique 0,8 point de PIB de dépenses en moins sur les 1,3 points de PIB d’écart entre le COR et la Commission européenne. Elle est donc centrale.
Des indicateurs macroéconomiques plus contrastés
Si les hypothèses démographiques retenues par cette dernière étude ont un effet positif sur le niveau des dépenses de retraites, les hypothèses macroéconomiques elles sont plus contrastées. Sur le chômage, pour faire le parallèle avec les travaux du COR, nous sommes proches de l’hypothèse C, 7,5% de chômage (7% dans le scénario C du COR) avec donc un rythme de convergence (chômage actuel-chômage de long terme) plus lent. Ceci donne un écart de 0,1 point de PIB. Pour la productivité retenue, elle est de 1,5% à long terme, soit l’équivalent du scénario B du COR, mais elle est plus faible à court terme, les taux de croissance retenus sont plus modérés entre 2020 et jusqu’au milieu des années 2030 et le chômage est lui plus élevé dès 2020. Le niveau de productivité par heure travaillée est légèrement inférieur à celui de la zone euro.
Et au final un résultat plus favorable ?
S’il y a plus de chômage, et moins de productivité, comment expliquer que les retraites coûtent moins cher ?! Un chômage plus important, c’est moins de personnes qui acquièrent de droits à la retraite pendant la période, ce qui abaisse le niveau des pensions et le poids des dépenses de retraites dans le PIB sur la fin de la projection. Et une plus faible croissance à moyen terme, ce sont des salaires moins élevés, donc moins de pensions demain, et un PIB plus faible. Si mathématiquement, en ce qui concerne les retraites, on pourrait penser que ce scénario et ce résultat est une bonne nouvelle, en prenant du recul nous pouvons nous interroger sur les dépenses en prestations publiques que ces hypothèses induisent (dépenses sociales, etc…). Ainsi, l’étude nous apprend que les « autres dépenses de vieillissement » à savoir santé, dépendance, chômage seraient elles en hausse de +1,1 point de PIB sur la période.
En effet, si les gens ne travaillent pas ou peu, ou moins il en résulte une hausse inévitable des dépenses publiques (prestations sociales), et bien souvent des impôts ! L’entreprise qui paye plus d’impôts que ses concurrents, au détriment de sa marge, n’investit pas. Et si les entreprises n’investissent pas, il est leur difficile d’augmenter la productivité (toute ressemblance avec la réalité ne saurait être que fortuite). Le COR l’avait rappelé : le solde financier du système de retraite est « très sensible au rythme des croissances des revenus d’activité », c’est l’indicateur clé ! Sans croissance, donc sans investissement, donc sans marge, pas de salut !
Pour résoudre le problème du financement des retraites, il faudra résoudre le problème du financement de notre modèle social, qui est extrêmement dépendant de la conjoncture économique. Pour ce faire, chacun doit penser dès aujourd’hui à sa retraite et la préparer en constituant une épargne. L’étude précise bien ainsi qu’ « à plus long terme, à partir du milieu des années 2030, l’effet retardé sur les pensions se manifeste par des pensions plus faibles… ». Si baisse des dépenses de retraites rime avec baisse du niveau des pensions, il appartient à chacun d’anticiper le phénomène et d’étudier des solutions alternatives afin d’éviter de subir un écart de rémunération trop important entre vie active et retraite. Au fond, cette étude est peut-être un peu plus optimiste, mais les conclusions réalistes sont les mêmes.

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