L’interview de Jérôme Jaffré
Jérôme Jaffré, directeur du Centre d’études et de connaissances sur l’opinion publique : « Un risque de contestation si le gouvernement reste sourd à l’inquiétude. »
FRANCE-SOIR. L’enquête que vous avez menée pour le Cercle des épargnants montre une vive inquiétude des Français à propos des retraites…
JÉRÔME JAFFRÉ. La retraite est aujourd’hui l’un des sujets de préoccupation fondamentaux des Français. La période après le travail s’allonge de plus en plus avec une augmentation de la durée de vie moyenne des Français. Il y a donc une profonde inquiétude, qui traverse toutes les catégories sociales, concernant les moyens dont ils disposeront pour financer cette période. Il y a notamment une grande interrogation quant au risque de voir le régime général des retraites s’effondrer. Pourtant, les enquêtes révèlent que les Français sont conscients des efforts qu’ils ont à faire. De ce fait, ils sont prêts à augmenter les années de cotisation. Mais, paradoxalement, ils ne veulent pas que l’on touche au tabou de l’âge de la retraite. C’est bien la preuve qu’ils sont désorientés.
Comment l’expliquez-vous ?
Les Français sont prêts à se sacrifier, mais ils considèrent dans le même temps la retraite à 60 ans comme un acquis. Aujourd’hui, pourtant, l’âge moyen pour commencer à travailler est de 22 ans. Avec 41 années de cotisation, cela signifie que l’on va s’arrêter à 62 ans. Beaucoup de gens ne réalisent pas que s’arrêter à 60 ans, voire avant, entraînera l’amputation d’une part de leur retraite. On voit qu’il y a donc un grand travail de pédagogie pour expliquer le système aux Français.
En effet, les trois quarts d’entre eux ne savent pas combien ils toucheront quand ils s’arrêteront de travailler…
Oui, c’est un phénomène inquiétant qui révèle le trouble profond des Français. D’autant que, d’après notre enquête, cette ignorance touche également la tranche d’âge des Français directement concernés par le problème : les 50-60 ans. Ce qui explique en grande partie leur inquiétude. La connaissance est un élément indispensable pour bien préparer son avenir et ses retraites.
Est-ce une bombe en puissance pour le gouvernement ?
Les retraites sont un des sujets qui cristallisent l’inquiétude des Français. Le gouvernement ne peut pas dire « c’est comme ça et pas autrement ». La population a conscience de l’inéluctabilité de l’allongement des cotisations et de la nécessité des sacrifices. Mais ils demandent en retour que leur inquiétude soit prise en compte et écoutée par les pouvoirs publics. Si le gouvernement est sourd à leurs attentes, il y a en effet un risque fort de contestation.
Beaucoup de salariés partent en préretraite. L’Etat et les entreprises ne se renvoient-ils pas la responsabilité de la situation ?
Le problème est que les entreprises n’ont pas de conscience collective. Pour elles, l’intérêt général est du ressort de l’Etat. Mais on ne peut pas à la fois se plaindre que les charges sociales sont trop lourdes et pousser les salariés en préretraite, dans un système pris en charge par la collectivité. Il faudrait conduire les entreprises à un raisonnement collectif et les mettre à contribution socialement. Un chiffre nous le rappelle : le taux d’emploi des seniors est de 37,5 %. C’est 10 points sous la moyenne européenne.