L’Astuce

20 janv 06 : Florence Legros « l’introuvable définition de la dette publique implicite »

par | Jan 20, 2006 | Actualités


Florence Legros, membre du Conseil scientifique du Cercle des Epargnants, a publié dans l’Agefi un article consacré à la définition de la dette publique. Cet article poursuit le débat engagé avec la présentation du rapport de Michel Pébereau, le 14 décembre dernier. Florence Legros souligne que la notion de dette publique implicite est complexe et n’est pas définie de manière précise. La prise en compte des engagements à venir des pouvoirs publics (retraite, santé, dépendance…) est très aléatoire. Elle dépend de la législation, de la croissance, de la démographie…

L’article de Florence Legros publié par l’Agefi du 20 janvier 2006


Le 14 décembre, une commission présidée par Michel Pébereau rendait un rapport sur la dette de la France. Selon l’Agence France Trésor, la dette directe de l’Etat se montait, fin octobre, à 866 milliards d’euros, auxquels il convient d’ajouter la dette des administrations locales et des organismes de Sécurité sociale pour parvenir à la définition de la dette publique au sens du Pacte de stabilité et de croissance ; son montant prévu fin 2005 atteint 1.167 milliards d’euros, soit 66 % du PIB. Cependant, le rapport Pébereau évalue la dette à plus de 2.000 milliards d’euros (120 % du PIB) en incluant les engagements en termes de retraites des fonctionnaires. L’objet de cette courte contribution n’est certainement pas de commenter ou de contester les conclusions du rapport de la commission Pébereau sur l’affectation des dépenses publiques et leur efficacité. Il s’agit plutôt de s’interroger sur la notion de « dette implicite ».

Le principe de la dette implicite est posé dès 1991 par trois économistes américains, Auerbach, Gokhale et Kotlikoff, qui montrent qu’un déficit budgétaire croissant n’est pas nécessairement signe de transferts des générations actuelles vers les générations futures, les secondes pouvant bénéficier de dépenses d’éducation élevées, par exemple. Les auteurs plaident donc pour une comptabilité dite générationnelle, où l’ensemble des transferts est affecté à chacune des générations qui en bénéficie, qu’il s’agisse de dépenses de santé, d’éducation, de retraite mais aussi des dépenses publiques d’infrastructures, de défense…

La prise en compte des seules retraites des fonctionnaires peut donc sembler restrictive. Le rapport Pébereau argue qu’il s’agit d’un régime d’entreprise et qu’il convient d’appliquer les règles désormais en vigueur pour les entreprises privées. On peut néanmoins répondre que la santé et l’éducation sont quasi exclusivement financées par l’Etat, donc peu mutualisables et que, à ce titre, elles doivent être incluses dans la dette publique implicite, s’agissant d’engagements pris par l’Etat envers ses ressortissants même s’ils ne sont pas « à prestations définies ».

Il y a donc autant de chiffrages que d’auteurs. En intégrant l’ensemble des dépenses publiques, les évaluations peuvent atteindre 400 % de la richesse nationale (avec la dette initiale et ses intérêts), descendre à 190 % (en ôtant les intérêts pour éviter une double comptabilisation), remonter à 358 % (intégration des futures dépenses en capital), redescendre à 55 % (indexation des pensions sur les prix et âge de la retraite reporté de trois ans). Les évaluations montrent aussi une extrême sensibilité aux taux d’actualisation et de croissance attendue de la productivité : plus celle-ci est forte et plus les engagements seront élevés ; un fort taux d’actualisation décroît la valeur actuelle des promesses, comme l’a montré le récent débat sur la privatisation des autoroutes.

Que considérer dans la dette implicite : l’ensemble des engagements de retraites à prestations définies ? Les dépenses de santé ? L’éducation ? L’entretien des infrastructures ? Le débat n’est pas clos et loin d’être neutre, comme le montrent les nombreuses réactions en France et ailleurs à chaque demande d’experts d’ajouter une dette implicite à la dette « explicite ». En période de vieillissement de la population mondiale et de réformes plus ou moins abouties des régimes de retraite, ce sont plutôt les engagements de retraite par répartition – donc non provisionnés – qui font l’objet d’attention, y compris de la part des agences de notation. Mais là encore, on a du mal à conclure. Selon l’OCDE, la dette implicite de la France pour ses retraites serait de 216 % du PIB, celle de l’Allemagne de 157 % ; elle atteindrait 113 % aux Etats-Unis et 15 % seulement au Burkina-Faso. Pris isolément, ces chiffres ne veulent pas dire grand-chose. Faut-il saluer la rigueur budgétaire américaine, copier le régime de retraite burkinabé ?

Complexe et sujette à caution, la notion de dette implicite n’est, pour autant, pas inintéressante. Elle permet de résumer l’ensemble des charges futures. Reste que, comme dans le cas du « crédit hypothécaire rechargeable », un endettement croissant ne peut être envisagé sans actifs et sans revenus en contrepartie. De ce point de vue, le rapport montre bien les difficultés à venir : patrimoine public divisé par 3 en 25 ans, croissance économique en berne, revenus en faible augmentation, basse pression démographique, dépenses de retraite et de santé en forte croissance, taux de prélèvements obligatoires ne présentant aucune marge de manœuvre. Autant d’éléments qui, eux, sont peu contestables.

M